Les garanties à première demande ou garanties indépendantes sont des outils bancaires couramment utilisés dans les marchés internationaux, et leur usage intéresse autant les grandes que les petites et moyennes entreprises. Afin d’en harmoniser la pratique sur le plan mondial, des règles ont été élaborées par la Chambre de commerce internationale (ICC, International Chamber of Commerce), les RUGD 758. Un nouveau code d’application de ces règles, inspirés des usages internationaux, vient d’être adopté par l’ICC, les International Standards Demande Guarantee Practice (ISDGP), dont une version bilingue français-anglais sera disponible après l’été*. Spécialiste français de ces règles, Georges Affaki, Président de la Commission bancaire d’ICC France, a travaillé sur ce nouveau code comme président du groupe de travail des RUGD et co-président du groupe de travail ISDGP. Il signe pour Le Moci une présentation de ces nouvelles normes d’application et met en avant leurs principales nouveautés.
Le 31 mars 2021, par un plébiscite international de 56 votes favorables, la Commission bancaire de la Chambre de commerce internationale (ICC) a adopté les International Standards Demande Guarantee Practice (ISDGP) relatives aux garanties sur demande. Il s’agit du compagnon indispensable des Règles uniformes relatives aux garanties sur demande, les RUGD 758, adoptées par l’ICC en 2009.
Ces règles se sont rapidement imposées comme les normes indispensables pour une pratique équilibrée et cohérente des garanties indépendantes, qui continuent en pratique d’être appelées garanties à première demande.
Pour comprendre la genèse des ISDGP, un retour en arrière s’impose.
Ce que prévoyaient les RUGD 758
Lors de la rédaction des RUGD 758, le groupe de travail a conçu un critère d’examen de la conformité des présentations au titre de la garantie ou de la contre-garantie en trois étapes :
- Il s’agit d’abord d’examiner la présentation, y compris d’une demande en paiement, au regard des termes exprès de la garantie. Ceux-ci prévaudront toujours sur les règles et les usages au titre du principe de l’autonomie de la volonté.
- En cas d’absence d’un terme spécifique dans la garantie qui répondrait à la question, les parties se réfèreront, pour déterminer la conformité de la demande, aux RUGD elles-mêmes. En effet, les 35 articles qui constituent les règles couvrent un champ très large du cycle économique de la garantie et sont susceptibles de répondre à une grande partie des questions soulevées en pratique.
- Toutefois, quel que soit le soin dédié à leur rédaction, aucun corps de règles ne saurait prétendre à l’exhaustivité, en raison de l’évolution continue de la pratique. Les RUGD proposent alors un troisième critère subsidiaire, qui prône l’examen des présentations au titre d’une garantie, selon les « pratiques internationales normalisées relatives aux garanties sur demande » (International Standard Demand Guarantee Practice).
Une codification des pratiques déjà expérimenté pour les crédit documentaires
Le concept ne sera pas étranger pour quiconque ayant eu l’occasion de traiter des crédits documentaires régis par les Règles et usances uniformes (RUU) relatives aux crédits documentaires de l’ICC.
En effet, dans sa révision de 1993, les RUU 500 ont introduit à l’article 13 un concept révolutionnaire pour l’époque, disposant que la conformité sera déterminée selon les pratiques bancaires internationales normalisées, telles que reflétées dans ces règles. Ce concept a été délibérément laissé sans codification exhaustive, afin de permettre d’adapter la réponse au cas spécifique et à l’évolution du marché.
Ce n’est que dix ans plus tard, en 2003, que l’ICC adopta une première codification, non-exhaustive, des pratiques bancaires internationales normalisées, les ISBP (International Standard Banking Practice), dans la publication 645. Lorsque la révision suivante, en 2006, engendra les RUU 600, confirmant ce concept, les ISBP furent également mises à jour en 2013, dans la publication 745.
L’approche des ISDGP, une démarche similaire
L’approche des ISDGP émane d’une démarche conceptuelle identique. Pendant onze ans, les millions de garanties et de contre-garanties émises à travers le monde au titre des RUGD incluaient le critère d’examen de conformité se référant aux pratiques internationales normalisées relatives aux garanties sur demande, sans que ces pratiques ne soient codifiées.
Il s’agissait de faire confiance au consensus des praticiens experts quant à la réponse juste à donner au cas précis. Pendant ces onze ans, le groupe de travail de la Chambre de commerce internationale, en charge des garanties sur demande, a accumulé un nombre croissant de pratiques, décisions de jurisprudence, et autres avis normatifs sur l’application des RUGD dans une large gamme de garanties dans les contextes économiques les plus variés.
Le moment était venu pour codifier ces pratiques dans une publication qui viendrait à l’appui des RUGD. C’est maintenant fait avec les ISDGP, la nouvelle publication 814 de la Chambre de commerce internationale.
Dans les limites de cet article, nous présenterons succinctement les ISDGP dans leur concept, champ d’application, et une sélection des nouvelles dispositions.
Présentation des ISDGP : un code des usages internationaux
Le recueil des pratiques se présente en 215 paragraphes qui recensent des pratiques dégagées au terme de trois ans de consultations avec les pays membres de l’ICC. Il s’agit donc, incontestablement, d’une codification d’usages internationaux.
Après une introduction par les co-présidents du groupe de travail, le recueil recense les pratiques selon la logique du cycle économique de la garantie indépendante.
- Vient d’abord la rédaction de la garantie. S’agissant de l’engagement autonome, ses termes revêtent la plus haute importance pour déterminer les droits et les obligations des parties à la garantie.
- Suivent ensuite : l’émission de la garantie, sa notification, les amendements, la présentation, y compris d’une demande en paiement et d’une demande alternative « proroger ou payer », les normes d’examen des présentations, le paiement, la procédure de rejet d’une demande irrégulière, la réduction du montant et la caducité de la garantie, l’effet de la force majeure, la cession de la garantie et du droit au paiement y afférant, ainsi que d’une section Divers sur laquelle nous reviendrons pour l’application des ISDGP.
Application des ISDGP : un recueil d’usages pour faciliter l’application des RUGD
Il s’agit d’un recueil d’usages existants conçu pour faciliter l’interprétation et l’application des RUGD.
Les ISDGP ne sont pas un amendement aux RUGD existantes, encore moins des nouvelles règles. La question de la date de leur entrée en vigueur ne se pose donc pas. Ainsi, elles font automatiquement parties de toute garantie qui se réfère aux RUGD.
La question de leur compatibilité avec les RUGD ne se pose également pas, puisqu’il ne s’agit là que d’interprétations qui ne sauraient supplanter le texte principal.
Comme les RUGD, les ISDGP demeurent sujettes aux dispositions impératives dans le droit applicable. En particulier, il est inutile d’incorporer les ISDGP dans une garantie en y faisant référence explicitement, puisque celles-ci s’appliquent automatiquement avec les RUGD dont elles sont l’accessoire.
Des précision sur les définitions clés
Les RUGD, on le sait, commencent à l’article 2 par plusieurs définitions indispensables pour comprendre les termes techniques mentionnés dans les règles. La pratique a révélé que certaines de ces définitions mériteraient des précisions ; les ISDGP s’attachent à les apporter.
- Ainsi, le terme « authentifier » ne doit pas être compris selon l’éventuelle définition qu’en donne le droit applicable, ou la nomenclature d’une autre organisation dont les messages types pourraient s’appliquer à la garantie tel, par exemple, SWIFT. Il s’agit de rester dans le cadre strict de la définition fonctionnelle donnée dans les RUGD, afin que le destinataire de messages authentifiés puisse s’assurer de la provenance du message, de son intégrité, et de pouvoir le lire.
- Concernant les « jours ouvrés », les ISDGP apportent la précision bienvenue préconisant de déterminer ce qui constitue un jour ouvré par rapport au lieu d’établissement de la personne qui entreprend la prestation caractéristique concernée, fût elle une succursale non dotée d’une personne morale. Si, une banque venait à délocaliser une fonction inhérente à la gestion de la garantie qu’elle a émise, sans toutefois indiquer dans la garantie l’adresse de l’entité à laquelle elle a sous-traité l’acte en question, seul l’émetteur de la garantie sera pris en compte pour la détermination des jours ouvrés.
- Les ISDGP vont au-delà en précisant le concept des « heures d’ouverture » qui se prolongent de 00:00:00 à 23:59:59. Dans le monde bancaire dématérialisé d’aujourd’hui, il paraît difficile d’imaginer rejeter des présentations électroniques reçues dans le système de la banque, après la fermeture des guichets physiques à 16h.
L’émission de la garantie
Les RUGD ont choisi un concept fonctionnel pour déterminer le moment auquel la garantie est considérée émise, et dès lors, le garant irrévocablement engagé. L’article 4(a) des RUGD retient le critère de contrôle effectif.
Les ISDGP précisent qu’une garantie qui quitterait le contrôle du garant est considérée valablement émise, irrévocablement, même si la procédure d’approbation interne dans l’établissement du garant n’a pas été complétée.
À l’inverse, une garantie qui serait confiée à un agent du garant pour remise au bénéficiaire n’est pas considérée irrévocablement émise jusqu’au moment où l’agent la remettrait au bénéficiaire, car l’agent agit en prorogation de son mandant.
Les critères d’examen de conformité
- Les ISDGP précisent que la conformité exigée est la conformité substantielle à laquelle des opérateurs intelligents et diligents concluraient, plutôt que la conformité robotique. Par exemple, une attestation d’inexécution qui indiquerait que la marchandise a été livrée en retard répond aux exigences de l’article 15(a) des RUGD, même si le mot « inexécution » n’est pas spécifiquement utilisé.
- De même, pour l’objet de l’attestation de l’article 15(b) des RUGD, un garant qui indiquerait que la demande du bénéficiaire qu’il a reçue ne présente pas d’irrégularités répond à l’exigence, même si le mot « conforme » n’est pas utilisé. Dès lors, si le garant exige des termes précis dans la demande, il faudrait l’indiquer dans la garantie, par exemple, en utilisant les termes entre guillemets ou en utilisant quote/unquote.
- La procédure de rejet des demandes irrégulières faisait déjà l’objet d’une procédure particulièrement détaillée à l’article 24 des RUGD. Les ISDGP y apportent des précisions utiles.
En particulier, il est précisé que le garant qui choisirait de consulter le donneur d’ordre au titre de l’article 24(b) afin de voir s’il serait disposé à renoncer aux irrégularités dans la demande, doit lui-même être prêt à accepter la demande irrégulière si son client, le donneur d’ordre, l’accepte.
Le point n’allait pas de soi, car la garantie autonome consiste en l’engagement principal du garant qui n’est ni le porte-parole, ni le mandataire de son client. Néanmoins, la bonne foi et l’intégrité dans le commerce international exigent que, lorsque le garant choisit – il n’est jamais obligé – de consulter son client pour la levée des irrégularités, il serait malvenu, une fois que son client a accepté cette levée, de maintenir de sa propre initiative le rejet, et risquer ainsi causer potentiellement un préjudice au bénéficiaire qui aurait déjà été informé par le donneur d’ordre que les irrégularités sont acceptées et que le paiement ou la prorogation interviendrait sous peu. - L’article 20 des RUGD indique au paragraphe (a) que le garant dispose de 5 jours ouvrés, après le jour de réception de la demande, pour déterminer si elle contient des irrégularités. Le paragraphe (b) suit immédiatement en indiquant qu’en « l’absence d’irrégularités la garantie doit être payée ». Toutefois, l’article 20 n’indique pas le délai dans lequel le paiement doit avoir lieu. Cette omission semble avoir causé en pratique des retards injustifiés pour des raisons diverses dont certaines tiennent aux tergiversations des donneurs d’ordre et leur influence sur les garants.
Les ISDGP ont choisi d’aller au-delà des RUGD, mais sans pour autant les contredire, en indiquant qu’un paiement dans les 3 jours ouvrés après la détermination de la conformité de la demande est conforme aux bonnes pratiques normalisées relatives aux garanties sur demande. Ceci ne veut pas dire que tout paiement au-delà de ce délai est nécessairement en violation des usages. En réalité, il s’agira de déterminer la justification du retard au cas par cas, potentiellement au terme d’une procédure judiciaire ou arbitrale, ce qui est toujours regrettable.
Fraude, interdiction de payer, mesures restrictives
Les ISDGP concluent par un chapitre divers. Elles abordent successivement la fraude, les mesures provisoires interdisant le paiement de la garantie, et les mesures restrictives dans les garanties indépendantes.
Il s’agit là de thèmes qui ne sont pas abordés dans les RUGD, car considérés comme faisant l’objet de règles impératives et donc, non susceptibles de codification par des organisations de droit privé comme la Chambre de commerce internationale. Il n’en demeure pas moins que ces thèmes se rencontrent au quotidien dans la pratique des garanties. Sans les trancher de manière absolue, les ISDGP apportent des directives pour aider les opérateurs à les traiter.
- Ainsi, concernant la fraude, un renvoi est fait à la Convention des Nations Unies relative aux garanties indépendantes et lettres de crédit stand-by, adoptée en 1995 et entrée en vigueur en 2000. La Convention contient à l’article 19 la codification la plus aboutie de la fraude et de l’abus manifeste en matière de garanties indépendantes. Les opérateurs, et les tribunaux, gagneraient à s’y référer afin d’éviter des interminables débats sur la qualification de fraude dans un cas particulier et la norme de preuve exigée.
- Également, concernant les mesures provisoires qui normalement ne devraient être envisagées qu’en cas de fraude, les ISDGP préconisent une attitude proactive de la part du garant plutôt que de s’en remettre à la sagacité du juge des référés. Si la demande est conforme, le garant doit l’indiquer au cours de la procédure en référé afin qu’il puisse honorer sa signature internationale. Dans tous les cas, il doit informer le bénéficiaire de la procédure et de son aboutissement.
Recommandations sur les clauses de sanction
Enfin, le monde du commerce international a noté la propagation pendant la dernière décennie des clauses dites de sanctions. Il s’agit de contractualiser l’application aux garanties et aux crédits documentaires de mesures restrictives étrangères qui n’ont pas vocation à s’appliquer au titre du droit applicable. L’effet extraterritorial serait ainsi conféré par la volonté des parties.
Ces clauses soulèvent des questions fondamentales, tout d’abord au regard du droit applicable qui pourrait les interdire au titre des contre-mesures de blocage ou, plus directement en lien avec la pratique des garanties, leur caractère non documentaire qui devrait interdire de les prendre en compte comme le préconise l’article 7 des RUGD. Ces clauses remettent également en cause l’irrévocabilité de l’engagement bancaire.
Les ISDGP font écho au document de principe émis par l’ICC en 2014 et en 2000, en préconisant l’abstention de l’usage de ces clauses qui perturbent le déroulement normal du paiement des engagements bancaires du financement du commerce international.
En conclusion
Les ISDGP sont des compléments indispensables aux RUGD. Elles doivent être lues ensemble, de manière complémentaire. La pratique cohérente, harmonieuse et certaines des garanties sur demande en dépendent.
A ce titre, les directions des risques et les régulateurs bancaires devraient exiger leur incorporation dans les procédures de contrôle interne des établissements concernés.
Georges Affaki,
Avocat, AFFAKI
Président de la Commission bancaire d’ICC France
Président du groupe de travail des RUGD et co-président du groupe de travail des ISDGP
*L‘Edition bilingue français-anglais des ISDGP for URDG 758 a été mise en chantier par le comité France de l’ICC et est annoncée pour après l’été. Plus d’information sur www.icc-france.fr