Le Pacte Vert ou « Paquet Climat » présenté la semaine dernière par la Commission européenne sous le nom de « Fit for 55 » provoque des ondes de mécontentement dans différents secteurs du transport. Dans le routier, les organisations professionnelles estiment que les délais sont trop courts et les mesures trop coûteuses pour permettre aux transporteurs de basculer leurs flottes en véhicules écologiques.
Si le monde du transport routier de marchandises approuve l’urgence climatique et se dit prêt à la transition énergétique, il émet néanmoins certaines critiques sur les propositions de loi pour le climat « Fit for 55 » présentées par la Commission européenne le 14 juillet, et qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55 % d’ici à 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050.
Un modèle de transition énergétique coûteux pour les transporteurs
Raccourcissement exagéré des échéances, précipitation et brutalité des propositions, surcoûts engendrés pour les entreprises, répercussion sur le coût de la vie des consommateurs, suppression de certaines exonérations fiscales…Réserves et inquiétudes sont multiples sur certains points clés de ce Paquet Climat.
« Le projet de la Commission européenne est déraisonnable, s’insurge ainsi Alexis Degouy, délégué général de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France (Union TLF). Les échéances de réduction de GES changent en permanence et se raccourcissement à chaque fois. Bruxelles propose un changement de modèle économique avec des objectifs intenables dans les délais prévus pour les entreprises de transport. Les conséquences sur leur réalité économique et sociale de ce chamboulement de modèle sont lourdes sur le coût engendré par la transition énergétique et sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Ces propositions créent en somme des conditions de transition écologique intenables.»
Pas assez de moyens ni de temps
En clair, conscient de l’urgence climatique, le secteur souhaite cependant passer à la transition énergétique de manière réaliste. Or, il estime que l’Union européenne (UE) ne lui en donne pas assez les moyens, ni le temps.
C’est l’avis de la Fédération nationale du transport routier (FNTR).
« Le système d’échanges de quotas (SEQE) d’émissions de CO2 proposé par l’UE qui vise à pousser les fournisseurs de carburant à sortir de l’énergie fossile pour basculer sur des carburants alternatifs, ne peut pas être appliqué immédiatement, surtout lorsque 90 % des poids lourds roulent encore au diesel. Or, Bruxelles qui compte mettre ce système en vigueur à partir de 2025, leur donne seulement 4 ans pour y parvenir. Avec à la clé un surenchérissement du coût du transport et donc du coût de la vie engendrés par la transition énergétique des camions. On voit cela comme un délai trop court et une punition » explique Isabelle Maître, déléguée permanente de la FNTR à Bruxelles.
Demande de soutien aux petits transporteurs
Même opinion du côté de l’Union européenne du transport routier (UETR).
« Avec l’évolution très probable du maintien d’un nombre significatif de véhicules à moteur à combustion interne et de diesel dans les 10 prochaines années, si on ne leur fournit pas un soutien adéquat, les transporteurs n’auront d’autre choix que de répercuter l’augmentation des coûts sur les clients, et donc sur les consommateurs » note l’UETR dans un communiqué.
L’UETR estime également que « le nouveau système doit accompagner les petites entreprises de transport et les soutenir sur la voie de la mobilité à faibles émissions, grâce à l’utilisation ciblée de l’ensemble des recettes générées par le SEQE. Alors que jusqu’à présent, elles ont fait déjà d’énormes efforts financiers pour passer au vert ».
Fin du gazole professionnel en 2023
Autre point d’achoppement : la proposition de révision de la directive sur la taxation de l’énergie. Il s’agit d’aligner la taxation des produits énergétiques sur les politiques de l’Union en matière d’énergie et de climat, en promouvant des technologies propres et en supprimant les exonérations obsolètes et les taux réduits qui encouragent actuellement l’utilisation de combustibles fossiles.
« Cette initiative signe la fin du gazole professionnel au 1er janvier 2023 et l’avantage fiscal qu’en tirent les transporteurs routiers. Une perte financière importante puisque cette exonération fiscale pèse 40% de leur budget » souligne Isabelle Maître.
Vers une surtaxation des péages autoroutiers ?
Le bureau commun des fédérations de transport et logistique de l’UE, associant la FNTR, la Bundesverband Güterkraftverkehr Logistik und Entsorgung (BGL) son homologue allemande et la Nordic Logistics Association (NLA) des pays nordiques, s’inquiète aussi de la prise en compte des émissions de CO2 dans l’Eurovignette, taxe harmonisée en Europe des autoroutes sur les véhicules.
« Cela pourrait aboutir à une surtaxation des péages autoroutiers sur les poids lourds les plus vieux roulant au diesel que l’on considère aussi comme une punition de la profession » indique Isabelle Maître.
La FNTR aurait également aimé que la révision de la directive sur le déploiement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques et d’avitaillement pour les futurs véhicules à hydrogène, « ajuste aussi le réseau d’avitaillement de gaz pour les camions au GNV et introduise plus largement les biocarburants » selon Isabelle Maître.
« Deux visions s’affrontent sur la transition énergétique, celle qui construit des trajectoires pas à pas et celle qui vise trop haut pour tirer les entreprises vers la transition écologique. La deuxième, celle de Bruxelles, met les transporteurs dans une situation trop brutale qu’ils ne peuvent pas suivre. Ce n’est pas la bonne option » conclut Alexis Degouy.
A suivre…
Bruno Mouly