A l’occasion de la semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes, Business France a organisé du 31 mai au 3 juin un forum d’affaires en format 100 % digital consacré à cette région du monde durement frappée par la crise. Sous le titre Ambition Amérique latine, il visait à relancer l’intérêt des entreprises françaises pour cette zone. L’occasion aussi de prendre la température de ces marchés perçus comme lointains et difficiles d’accès, mais dont le besoin en investissements privés laisse augurer des opportunités.
2 %. C’est la part qu’occupe l’ensemble des pays d’Amérique latine et centrale et des Caraïbes dans les exportations françaises, a rappelé Jean-Yves le Drian dans une vidéo diffusée lors de la première édition d’Ambition Amérique latine, un forum d’affaires de 4 jours calqué sur le modèle d’Ambition Africa.
Hasard du calendrier, cet événement mêlant conférences sectoriels et rendez-vous BtoB à distance a débuté le jour de l’annonce par l’OCDE des perspectives de croissance pour 2021. L’heure est au rebond.
Après une année 2020 très difficile (PIB en chute de 9,9 % en Argentine, – 8,2 % au Mexique, -4,1 % au Brésil), les prévisions de croissance pour cette année (respectivement + 6,1 %, + 5 % et + 3,2 %) ne devraient par permette d’atteindre les niveaux d’avant crise.
Seul le Chili devrait y parvenir, au troisième trimestre (T3) 2021. La Colombie et le Brésil devront attendre le T3 2022, le Costa Rica le T2 2023, le Mexique le T3 2023… et jusqu’au T2 2026 pour l’Argentine, selon les estimations de l’OCDE.
Besoin d’investissements étrangers pour soutenir la reprise
« L’augmentation des dépenses liées à la lutte contre la pandémie et aux plans de soutien économiques arrive alors que les finances publiques sont déjà fragilisées, souligne Selin Ozyurt, économiste chez Euler Hermes. Pour soutenir la reprise, ces pays ont besoin d’investissements privés, locaux et étrangers. Les gouvernements sont actuellement prix entre deux feux : consolider les finances publiques pour attirer des investisseurs privés et le coût social très élevé qui en résulte ainsi que les problèmes d’acceptabilité comme le montre ce qui se passe actuellement en Colombie ».
Alors qu’actuellement les cours élevés des matières permettent de faire rentrer des devises, « ils vont se stabiliser et l’investissement prendra ensuite le relai notamment grâce à la demande suscitée par la transition énergétique ». En outre, le généreux plan de relance américain profitera également aux pays de la région. Selon Florence Pourchet, directrice de CIB Latin America (BNP Paribas), qui accompagne des entreprises dans leurs investissements sur place, « c’est pour l’instant un frémissement mais l’investissement est en train de revenir ».
D’ici là et malgré des perspectives en demi-teinte, l’Amérique latine pourrait bien voir affluer des entreprises françaises en sus des 15 000 qui exportent déjà régulièrement dans la région.
Pour Frédéric Rossi, directeur général délégué export de Business France, qui accompagne chaque année 800 entreprises en Amérique latine et dispose de 6 bureaux sur place, des opportunités sont à saisir « dans des secteurs liés à la ville (mobilité, énergie, gestion de l’eau), l’agriculture et l’agroalimentaire, la santé, qui est un des premiers postes d’exportation français et les nouvelles technologies : 25 licornes originaires du continent ont émergé ces six derniers mois ».
Keyrus est passé de 150 à 800 employés en 5 ans
C’est précisément dans ce secteur des nouvelles technologies, qui a actuellement le vent en poupe partout dans le monde, que prospère Keyrus, société française de conseil aux entreprises dans le cloud, la gestion des données et le développement digital.
L’entreprise est passée de 150 à 800 employés sur place en cinq ans et ne compte qu’un employé français, son directeur régional Stephan Samouilhan. A l’instar des autres intervenants de cette séance plénière ouvrant ce forum d’affaires, le dirigeant a loué la qualité des ressources humaines locales : « Les gens sont très bien formés, dynamiques et avides d’expérience avec des sociétés internationales et les Français sont très bien vus ».
La French touch aurait-elle la cote dans les pays d’Amérique latine ? « Nous accompagnons des entreprises asiatiques et européennes, notamment françaises, qui s’intègrent beaucoup mieux que les entreprises chinoises qui arrivent avec leurs propres employés », confirme pour sa part Florence Pourchet.
Le business de la digitalisation des entreprises ne connaissant pas la crise, Keyrus entre dans une phase d’acquisitions au Mexique, en Colombie et au Pérou et compte encore augmenter ses effectifs. Un réussite qui pourrait inspirer d’autres SSII et des entreprises d’autres secteurs.
C’est le moment d’y aller à condition de se faire accompagner
« Le continent n’est pas réservé aux grandes entreprises, il y a de la place pour les PME et ETI à condition de se faire accompagner et malgré les tensions sociales et politiques », selon Pedro Novo, directeur exécutif en charge de l’export de Bpifrance.
La contestation sociale qui a embrasé la Colombie et sa violente répression rappellent à qui l’aurait oublié que l’Amérique latine s’est enfoncée dans la pauvreté qui touche 33,7 % de sa population et enregistre son niveau le plus élevé depuis 12 ans selon l’ONU. Une situation difficilement tenable sur les plan social et économique.
Cependant, le besoin d’investissements privés, l’effet d’entrainement du plan de relance américain et le repli des investisseurs chinois va ouvrir des portes estime Pedro Novo. Et selon lui, les entreprises peuvent s’appuyer sur des aides substantielles pour réduire les risques. « Bpifrance est présent sur place à Mexico depuis 2 ans avec la Team France Export et propose des crédits exports et des assurances prospection. Ces dernières, dans le cadre du plan de relance export sont dotées d’1 milliard d’euros rien que pour l’Amérique latine. C’est le moment d’y aller, il n’y a jamais eu autant de moyens mis à disposition des entreprises pour prospecter et s’implanter sur ces marchés ».
L’organisateur, Business France, a annoncé que 1100 participants des deux côtés de l’Atlantique avaient été recensés lors des deux journées de webinaires et rencontres BtoB. Un début prometteur.
Sophie Creusillet