A peine signé sous l’insistance de l’Allemagne, le traité entre l’Union européenne (UE) et la Chine est-il déjà enterré ? Il en prend le chemin après l’annonce par la Commission européenne, le 4 mai, qu’elle suspend le processus de ratification de l’Accord global sur les investissements (AGI) conclu le 30 décembre, jugeant « momentanément » le terrain géopolitique « trop compliqué ».
« Nous avons pour le moment […] suspendu certains efforts de sensibilisation politique du côté de la Commission », a expliqué Valdis Dombrovskis, le vice-président de l’exécutif en charge du Commerce. « Il est clair que dans la situation actuelle, avec les sanctions de l’UE contre la Chine et les contre-sanctions chinoises, y compris contre des membres du Parlement européen, l’environnement n’est pas propice à la ratification de l’accord », a ajouté le responsable letton.
Outre les sanctions et mesures de représailles, imposées de part et d’autre, d’autres dossiers continuent d’envenimer les relations entre Pékin et Bruxelles : la diplomatie agressive chinoise pendant la pandémie, la répression des Ouïgours au Xinjiang ou celle menée à Hong-Kong. Les sujets qui fâchent ne manquent pas « ils se sont multipliés avec la crise de la covid », reconnait-on à la Commission.
Un accord présenté comme une opportunité lors de sa signature
Négocié pendant sept ans, l’AGI avait pourtant été présenté comme une opportunité pour les entreprises européennes qui devaient profiter de l’ouverture du vaste marché chinois. « La Chine n’est jamais allée si loin » se félicitait la Commission dans un communiqué.
A côté des secteurs manufacturiers, comme les voitures électriques et hybrides, le traité intègre également les télécommunications, les services financiers ou les services « cloud », de même que ceux liés au transport aérien, comme les systèmes de réservation en ligne.
Mais tous les secteurs n’étaient pas logés à la même enseigne. Dans certains cas, pour les services financiers par exemple, l’AGI levait l’obligation de créer des joint-ventures. Une contrainte qui devait être réduite de façon progressive dans l’automobile. Mais dans les télécoms, en revanche, l’obligation de s’associer à une entreprise chinoise restait de mise.
L’UE avait aussi obtenu une promesse de transparence des subventions publiques chinoises dans le domaine des services et une interdiction des transferts de technologie forcés dans les secteurs concernés par l’accord.
Un accord sous le feu des critiques
Dossier prioritaire pour Angela Merkel, qui espérait ainsi apaiser son lobby industriel déjà échaudé par les contraintes sanitaires et le Brexit, la chancelière a pesé de tout son poids pour convaincre ses partenaires européens de finaliser l’accord coûte que coûte. Une façon, aussi, de conclure la présidence allemande de l’UE, fin 2020, sur une note positive.
Mais à peine signé, l’AGI faisait déjà l’objet de nombreuses critiques. « Tout a été fait dans la précipitation. Et pour avoir parcouru l’ensemble du texte, il est évident que le diable se cache dans les détails », analyse Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée Renew et vice-présidente de la Commission du commerce international au PE.
Si certains de ses collègues, à gauche de l’hémicycle, ont avant tout mis l’accent sur les maigres concessions de Pékin relatives au travail forcé, les experts des questions commerciales pointaient du doigt les mécanismes de mise en œuvre des engagements inscrits dans l’accord, jugés insuffisants d’un point de vue légal.
Autres bémols : la protection des investissements n’est pas assurée ; et rien n’est prévu, non plus, pour le règlement des différends entre États et investisseurs.
Crainte de froisser la nouvelle administration Biden
La portée technique du traité est donc passé au second rang face aux considérations d’ordre politique. Les Vingt-sept unis face à la Chine avaient réussi à obtenir des engagements de Pékin dans les sphères sociales et environnementales, se réjouissait la France au lendemain de la conclusion de l’accord.
Mais cette victoire diplomatique offerte à Xi Jinping, juste avant l’investiture de Joe Biden, risquait de compliquer la relance des relations transatlantiques souhaitée par plusieurs États membres, en particulier à l’est du bloc.
D’autres, comme l’Italie, l’Autriche ou les Pays-Bas avaient quant à eux exprimé des réserves sur les avantages concrets que l’AGI pouvait offrir aux entreprises européennes. « Le traité ouvre surtout des opportunités à l’Allemagne et à la France », confiait au Moci un diplomate européen d’un petit pays de l’UE.
Enfin, la crainte de faire face à des opinions publiques de plus en plus rétives, a également douché l’enthousiasme de plusieurs capitales.
Une suspension bien accueillie
Dans ce contexte, la Commission ne pouvait plus garantir le soutien du Conseil, c’est à dire des Vingt-sept.
Même constat du côté du Parlement européen. En dehors des députés conservateurs allemands fervent défenseur de l’AGI, les autres familles politiques ont tous dénoncé – plus ou moins vigoureusement – l’accord d’investissement conclu dans la hâte avec la Chine.
Même les libéraux favorables au libre-échange, ou les Français issus de la majorité présidentielle ont exprimé leur réserve. A l’instar de Marie-Pierre Vedrenne, fidèle à Emmanuel Macron mais hostile à un traité « dont les avantages pour l’UE restent à démontrer et qui violent ostensiblement les valeurs européennes pourtant annoncées comme centrales dans la nouvelle stratégie commerciale présentée par la Commission ».
La suspension provisoire de l’accord a donc reçu un accueil favorable auprès d’une majorité d’eurodéputés. « Le Parlement devait se prononcer sur un gel de l’accord dans quinze jours. On sentait bien qu’on allait gagner ce vote. La Commission prend donc les devants », s’est félicité Raphaël Glucksman, membre du groupe des Socialistes et Démocrates et grand défenseur de la cause des Ouïgours.
« L’accord était déjà mal engagé avant les sanctions, il est probablement mort », juge quant à lui Philippe Lamberts, le président du groupe des Verts au PE. Un diagnostic réfuté par la Commission, qui insiste sur le côté provisoire de sa décision.
D’autres mesures de restriction visent Pékin
Ce langage diplomatique est contredit par d’autres mesures prises au même moment par l’exécutif européen pour renforcer la protection des actifs économiques de l’Union. Il souhaite ainsi se doter de nouveaux outils qui, s’ils ne visent pas nommément la Chine, ont bien été conçus pour faire face aux pratiques déloyales de Pékin.
Le 5 mai dernier – au lendemain de l’annonce de la suspension du traité UE/Chine – la Commission a ainsi présenté de nouvelles dispositions pour que Bruxelles puisse limiter les incursions dans l’UE des entreprises étrangères soutenues par l’État.
« L’ouverture du marché unique est notre principal atout, mais elle doit s’accompagner d’une certaine équité », a commenté Margrethe Vestager, la vice-présidente en charge du numérique et de la concurrence.
Selon la législation prévue, une entreprise étrangère qui cherche à acquérir une société européenne au chiffre d’affaires annuel supérieur à 500 millions d’euros devra notifier la Commission de « toute contribution financière reçue d’un pouvoir public d’un pays tiers ».
Le même jour Thierry Breton, le commissaire au Marché intérieur, publiait la mise à jour de sa stratégie industrielle pour aider l’UE à réduire sa dépendance vis à vis de l’étranger et en particulier la Chine. Pour l’ancien ministre français, la pandémie a appris à l’UE que « le partenaire d’hier ne pouvait pas être le partenaire d’aujourd’hui ».
Les deux parties ont en théorie deux ans pour finaliser et ratifier le document qui doit, du côté de l’UE, obtenir l’approbation du Conseil et du Parlement européen (PE). Dans ce contexte, et malgré le soutien toujours ferme de l’Allemagne, l’AGI dans sa forme actuelle semble bien mort et quasi enterré.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles