La Tunisie et l´Algérie sont traversées par de violentes émeutes provoquées par l´envolée des prix des denrées alimentaires ces dernières semaines. Cette flambée de violence, qui a fait selon les bilans officiels 14 morts en Tunisie et 5 en Algérie, exprime aussi et surtout un profond malaise social chez les jeunes.
En Algérie, les prix de la farine, du sucre et de l´huile se sont envolés. Alors qu´un kilo de sucre coûtait 70 dinars il y a encore quelques mois, il en vaut aujourd´hui 150. La FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, a récemment annoncé qu´en décembre, les prix alimentaires avaient atteint un niveau record et que ce mouvement haussier allait se poursuivre.
Pour tenter de l´enrayer, le gouvernement algérien a décidé, le 8 janvier, une suppression temporaire des droits de douane et de la TVA sur le sucre roux et les produits alimentaires, une mesure qui devrait rester en vigueur jusqu´au 31 août 2011. Concernant la farine, le gouvernement n´en changera pas le prix, mais les quotas d´importation de blé tendre vont être augmentés.
En Tunisie, où les manifestations durent depuis le 17 décembre, les revendications portent sur la cherté de la vie et le chômage, mais aussi sur l´absence de perspectives pour la jeunesse. Le régime tunisien offrant moins de liberté d´expression à ses citoyens, les revendications y ont pris un tour nettement plus politique. En réaction, le gouvernement a décidé de mobiliser 116,6 millions d´euros pour l´emploi, qui s´ajouteront aux 7,8 millions d´euros destinés à des projets dans la région de Sidi Bouzid.
Ces mesures suffiront-elles ? En Algérie, c´est bien le malaise de la jeunesse algérienne et tunisienne qui s´exprime depuis quelques semaines, comme l´expliquait Karim Amellal, écrivain et maître de conférence à Sciences Po Paris, dans un entretien publié par le journal algérien El Watan le 10 janvier : « L´étincelle, ici, ce fut l´augmentation des prix des produits de base, ressentie très douloureusement pour des jeunes – les moins de 30 ans représentent les trois quarts de la population algérienne ! – issus de familles dont les produits alimentaires représentent en moyenne la moitié du budget. C´est la goutte d´eau qui a fait déborder le vase du sentiment d´injustice : l´insuffisante redistribution des richesses et le poids des contraintes qui écrase les classes populaires sont insupportables. »
Ces deux pays maghrébins ont affiché en 2010, selon les chiffres du FMI, une croissance de 3,8 %. Et 2011 s´annonce bien avec une croissance prévue du PIB de 4,8 % en Tunisie et de 4 % en Algérie. Pourtant, les classes pauvres et moyennes ne profitent pas de cette richesse. Et les jeunes diplômés de parviennent pas à trouver un travail, comme le résumait l´historien Benjamin Stora, spécialiste du Maghreb, dans un entretien accordé à La Voix du Nord : « Il n’y a pas d’accession au pouvoir des nouvelles générations. En Algérie, comme en Tunisie ou au Maroc, on a aussi ce problème des diplômés chômeurs. Ce sont des jeunes de 20 à 30 ans qui, à bac + 4 ou + 5, sont en panne d’avenir. Ils voient le monde bouger, notamment les pays du Golfe, la Chine ou le Brésil et sont rongés, dans leur pays, par un sentiment d’inutilité et d’immobilisme. »
Le jeune Tunisien qui s´est immolé par le feu à Sidi Bouzid en décembre, élément déclencheur des manifestations, était dans cette situation. Agé de 26 ans et diplômé, il était vendeur ambulant de fruits et légumes, faute de mieux, et sa marchandise venait d´être confisquée par la police. Il est mort le 4 janvier des suites de ses blessures.
Sophie Creusillet