Les retards de navires liés à l’échouement d’un porte-conteneur au cœur du canal de Suez devraient accroître davantage la congestion déjà récurrente des trafics portuaires. Les importateurs et exportateurs français les plus touchés seront ceux des filières textile, électronique, du luxe et de l’agroalimentaire.
Le trafic a repris progressivement sur le canal de Suez depuis le 29 mars, après la remise à flot du porte-conteneur géant taiwanais « Ever Given », dont l’échouage a obstrué le canal pendant 6 jours, bloquant plus de 400 navires cargo de part et d’autre de la voie d’eau reliant la mer Rouge à la Méditerranée.
Mais cet incident majeur risque d’avoir de lourdes conséquences sur le transport maritime mondial et sur les opérations d’import-export des entreprises. Le blocage temporaire du canal égyptien, par lequel passe 10 % à 12 % du commerce international de marchandises chaque année, devrait notamment amplifier les difficultés déjà récurrentes du secteur.
Une dizaine de jours de retard pour les navires bloqués
Pour TLF Overseas, syndicat français des commissionnaires de transport international, c’est même la goutte qui fait déborder le vase.
« Cet accident est une belle allégorie des difficultés que vit le transport maritime et les trafics portuaires depuis octobre 2020, regrette Camille Contamine, déléguée aux affaires maritimes et portuaires de TLF Overseas. Il risque fort de décupler les goulets d’étranglement, les retards des navires ou sauts d’escales que connaissent déjà les ports de destination des marchandises. Cette forte congestion des trafics portuaires est liée à une flagrante sous-capacité de navires par rapport à la demande mondiale, entraînant l’explosion des taux de fret et la dégradation de la qualité de service des compagnies maritimes, dont on ne sait pas souvent quand les bateaux arrivent au port de destination ».
En entraînant un retard d’une dizaine de jours, en Europe ou en Asie, pour les centaines de cargos momentanément bloqués, la paralysie du canal de Suez devrait accroître davantage la congestion des principaux ports européens, comme Rotterdam ou Anvers.
Une opportunité pour les ports français ? « Les grands ports français moins touchés par l’embouteillage du trafic maritime ont l’opportunité de capter une part du trafic maritime qui arrive en Europe et de démontrer leur performance » veut croire l’experte de TLF Overseas.
Rumeurs de surcharges infligées par les compagnies maritimes
En attendant, l’incident du canal de Suez en rajoute une couche sur la perturbation du transport maritime.
Il s’ajoute en effet à la pénurie de conteneurs qui perdure maintenant depuis plusieurs mois, notamment sur l’axe Asie-Europe, les commissionnaires de transport international ayant beaucoup de mal à en réserver.
Il pourrait aussi engendrer des surestaries, des frais de surcharges que pourraient infliger certaines compagnies maritimes aux commissionnaires de transport international, en raison de la congestion portuaire.
« Il y a des rumeurs sur l’application de surcharges et de pénalités, mais cela semble trop exagéré et complètement injustifié » estime toutefois Jean-Michel Garcia, délégué aux transports internationaux de l’Association des utilisateurs de fret (AUTF).
L’équipement de la maison, secteur particulièrement impacté
Le retard des livraisons lié au blocage du canal de Suez devrait également davantage pénaliser les opérations et la situation financière des entreprises européennes importatrices et exportatrices.
En France, il aura une répercussion non négligeable. Sur le port de Marseille par exemple, près de 67 % des conteneurs débarqués viennent de Chine, et passent donc par le canal de Suez. Les secteurs les plus touchés sur l’importation, devraient être ceux de l’habillement, des composants électroniques et de l’équipement de maison en provenance d’Asi
« Ce dernier secteur est déjà très touché par les retards récurrents du transport maritime » glisse Jean-Michel Garcia. « Les entreprises tricolores de la filière cuir et de l’électronique connaissent déjà des difficultés financières importantes » ajoute Camille Contamine.
A l’exportation, ce sont les secteurs de l’agro-alimentaire et du luxe qui devraient être les plus impactés.
Les contrats d’assurance « marchandises transportées » pour être indemnisé
Du coup, les entreprises victimes de l’incident du canal de Suez pourraient bien se retourner vers les assureurs pour obtenir des dommages et intérêts et couvrir leur perte financière.
« Les scénarios de sinistres potentiels liés à l’échouement du porte-conteneur Ever Given dans le canal pourraient inclure la perte de toute marchandise périssable dans sa cargaison et des demandes d’indemnisation pour interruption d’activité et perte de revenus à la suite de ce blocage » indique Rahul Khanna, directeur mondial du conseil en matière de risques maritimes chez Allianz Global Corporate & Specialty.
Pour les avaries causées sur la cargaison à bord de l’Ever Given, « elles pourront être indemnisées au titre des contrats d’assurance marchandises transportées, explique au journal Les Echos, Mathieu Berrurier, directeur général du courtier Eyssautier-Verlingue. « Il n’en va pas de même pour les marchandises endommagées ou perdues à bord des autres navires bloqués, les avaries constatées n’étant pas causées par le navire qui les transporte » ajoute-t-il.
Pas de couverture d’assurance pour les retards de livraison
Les entreprises peuvent aussi voir leur chaîne logistique s’enrayer et subir des pertes. Cependant, « si la marchandise n’est pas endommagée, la plupart des contrats d’assurance ne vont pas couvrir les pertes financières liées au retard », explique dans Les Echos Stéphanie Habasque, responsable transport Marine/Cargo chez le courtier en assurances Marsh France.
Les assureurs avertissent depuis des années que la taille croissante des navires (plus de 20 000 EVP pour l’Ever Given) entraîne une plus grande accumulation de risques. « Ces craintes se concrétisent aujourd’hui, ce qui pourrait contrebalancer les améliorations à long terme en matière de sécurité et de gestion des risques. La gestion des incidents impliquant de grands navires, tels que les incendies, les échouements et les collisions, devient plus complexe et plus coûteuse » conclut Rahul Khanna.
Bruno Mouly