« La prospérité allemande profite à une toute petite élite, puis à la classe moyenne et au balayeur, qui, pourtant, contribuent le plus à la hausse du produit intérieur brut », expliquait Markus Grabkar, chercheur associé à l´institut berlinois de recherche économique DIW, lors d´une conférence du Cerfa, organisée, début décembre à l´Ifri.
L´Allemagne a beau afficher un taux de croissance économique très élevé pour un pays de la zone euro (3,5 % attendu cette année), la classe moyenne s´est fortement contractée et les écarts de revenus s´accroissent. En dix ans, elle aurait perdu 4,6 millions de personnes, ce qui est important pour un pays de 82 millions d´habitants, et sa part dans la population globale serait tombée à 59 %, soit une perte de cinq points.
Plus encore, selon Markus Grabkar, « les extrêmes pèsent plus ». D´une part, « des couches de la société sont préoccupées par leur niveau de vie et ont peur d´un déclassement social, ce qui entraîne un recul de la confiance dans le système économique allemand et dans la perception de l´existence d´une cohésion sociale ». « L´Allemagne est le seul pays à voir décidé une baisse réelle des salaires depuis dix ans en Europe », rappelle le chercheur.
D´autre part, « les 10 % des Allemands les plus aisés ont accru de 17 % leurs revenus entre 1999 et 2009 » et « le nombre de millionnaires est aujourd´hui supérieur au chiffre d´avant la crise mondiale ». Les revenus du capital ont augmenté « de façon disproportionnée », observe-t-il.
D´après l´étude réalisée tous les ans depuis 1984 par le DIW, la part des faibles salaires en Allemagne rejoint peu à peu celle des États-Unis (respectivement, 20 % et 24 %). « Ce mouvement de baisse [ndlr : des salaires] est frappant dans les services, parce qu´il n´y a pas de syndicats dans le tertiaire pour défendre les intérêts des salariés et mener des négociations collectives comme dans l´industrie », souligne Markus Grabka.
Pour enrayer cette tendance, le chercheur allemand préconise l´instauration d´un salaire minimum. Une idée qui n´a aucune chance d´aboutir, estime René Lasserre, directeur du Centre d´information et de recherche sur l´Allemagne contemporaine (Cirac). Selon lui, « comme les rémunérations sont calculées sur la productivité », ce type de changement « risquerait de détruire le modèle industriel et, par conséquent, la compétitivité de l´Allemagne ».
François Pargny
Le déclin démographique va s´accentuer
La prospérité économique de l´Allemagne est menacée par la baisse de sa démographie et le vieillissement de sa population. Un phénomène qui sera sensible « surtout à partir de 2020 », indique Rémi Lallemand, docteur en sciences économiques, qui a rédigé pour le Comité d´études des relations franco-allemandes (Cerfa) une note sur « L´économie allemande en sortie de crise ». D´après l´OCDE, rappelle ce chercheur, l´Allemagne gardera un rythme de croissance « assez soutenu », avec en 2011 et 2012 des taux de 2,5 et 2,2 %, soit beaucoup plus que la moyenne de la zone euro et que la France en particulier (respectivement 1,7 % et 1,6 % en 2011, 2 % dans les deux cas l´année suivante).
La consommation des ménages, en particulier, y progressera de 1,3 % en 2011 et 1,6 % en 2012. Pour autant, « le déclin démographique de l´Allemagne est bien engagé et va même s´accélérer », affirme Anne Salles-Lestrade, germaniste à l´université Paris IV-Sorbonne. La population active devrait passer de 50 millions à 33 millions en 2060, ce qui devrait entraîner une pénurie de main-d´œuvre. Une chute qui ne peut être enrayée qu´avec un relèvement du taux d´activité des plus de 60 ans et un recours à l´immigration, selon Rémi Lallemand.
« Toutefois, il n´est pas du tout certain que l´immigration puisse répondre aux besoins de main-d´œuvre très qualifiée », mettait en garde Steffen Angenendt, spécialiste de la démographie et des migrations à l´institut berlinois de sciences politiques Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), lors de la conférence du Cerfa de décembre 2010 (voir page précédente). Autre solution, la seule qui puisse vraiment arrêter le recul de la population, selon Anne Salles-Lestrade : accroître la fécondité. « Mais c´est une solution pour nos petits-enfants, pas pour nous », prévient la germaniste française.
F. P.