Signé en grande pompe le 28 juin 2019, après deux décennies de négociations et plusieurs interruptions, le pacte commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur* est loin d’avoir achevé son parcours chaotique.
Le 18 septembre, la France a en effet ouvertement réitéré son opposition au traité après la remise du rapport de la commission d’évaluation indépendante mandatée en juillet 2019 par Edouard Philippe.
Dans ce document de 184 pages, les experts s’inquiètent des conséquences de l’accord sur l’environnement, en particulier sur la forêt amazonienne. Ils estiment dès lors que les coûts environnementaux seront supérieurs aux bénéfices économiques.
« La déforestation met en péril la biodiversité et dérègle le climat. Le rapport remis par Stefan Ambec conforte la position de la France de s’opposer au projet d’accord UE-Mercosur, en l’état », a réagi sur Twitter le Premier ministre français, Jean Castex.
La France offensive mais pas isolée
Quelques jours plus tard, Frank Riester, le ministre en charge du Commerce extérieur, défendait la position française auprès de ses homologues européens.
« Notre objectif n’est pas de stopper toute démarche visant à augmenter nos relations commerciales », mais « il nous faut des garanties sur le respect de l’accord de Paris [ndlr : sur le climat] et la déforestation », a-t-il expliqué lors d’un point presse organisé à l’issue d’une réunion des ministres du Commerce, les 20 et 21 septembre à Berlin.
La France mène la fronde, mais elle est loin d’être isolée au sein des Vingt-sept. Déjà rejeté par les parlements néerlandais et autrichiens, le traité est aussi contesté par l’Irlande, la Pologne ou la Belgique.
Et si l’Allemagne, qui assure la présidence tournante de l’UE, avait fait de la finalisation de ce pacte commercial l’une des priorités de son programme, elle semble avoir, depuis, sensiblement modifié sa position. Malgré la pression de son secteur industriel, notamment l’automobile, qui poussent pour une entrée en vigueur rapide de l’accord, Angela Merkel a pour la première fois émis « de sérieux doutes », le 21 août dernier, pointant du doigt la déforestation et les incendies qui se sont encore multipliés pendant l’été en Amazonie.
Un accord déjà enterré ?
Signé il y a plus d’un an mais pas encore formellement adopté par les différentes instances de la gouvernance européenne, le pacte UE / Mercosur est actuellement dans sa phase de traduction et de mise en conformité juridique.
Composé de trois parties – un accord commercial auquel s’ajoute un volet politique et un volet coopération – « cet accord d’association doit en principe être adopté à l’unanimité par le Conseil européen, soumis pour approbation au Parlement européen et ensuite ratifié par l’ensemble des parlements des États membres », détaille Sophie Wintgens, chargée de recherche au Centre belge de Coopération au Développement.
La Commission européenne pourrait donc proposer de scinder les différents textes, comme elle l’a fait avec le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), l’accord de libre-échange UE / Canada. « Dans ce cas, l’adoption de la partie commerciale seule ne nécessiterait plus qu’une majorité qualifiée au Conseil puisque le commerce extérieur est une compétence exclusive de l’Union européenne », explique cette politologue.
Rien ne garantit, toutefois, qu’une telle majorité puisse être réunie aux vues des oppositions croissantes que suscite le pacte, tant au niveau du Conseil (Etats membres), qu’au Parlement européen (PE), les deux organes de codécision à l’échelle communautaire.
L’impact du ‘Green Deal’ sur la politique commerciale
« Ces accords commerciaux sont périmés et ne correspondent plus à notre époque, faite de circuits courts, de qualité, de protection de l’environnement et des droits humains », analyse pour sa part Raphaël Glucksman, eurodéputé français, membre de la Commission Commerce international (INTA) au PE.
Même constat au sein de l’exécutif à Bruxelles. « On ne peut plus appliquer les mêmes recettes que par le passé », abonde un fonctionnaire de la DG Commerce à la Commission européenne. « Dans le cas du CETA, c’était le volet ‘protection des investissements’ qui faisait polémique, là il s’agit du dérèglement climatique », rappelle-t-il.
En faisant du Green Deal la pierre angulaire de son programme, Ursula Von Der Leyen s’est en effet engagée à verdir l’ensemble des politiques communautaires.
En juin, la Commission a d’ailleurs lancé une consultation afin de réviser sa doctrine commerciale qui s’articule autour d’une question centrale : comment l’UE peut inciter ou contraindre ses partenaires à adopter des politiques vertueuses en matière sociale ou environnementale grâce à ses accords de libre-échange ?
Difficile dans ce contexte d’envisager une adoption au forceps de l’accord avec le Mercosur, même si elle ne vise que son volet commercial. En l’état le pacte commercial a très peu de chance d’être ratifié côté européen. Et les possibilités de convaincre les pays du bloc Mercosur de remettre à plat un accord négocié pendant près de 20 ans sont quasi nulles, reconnait-on à Bruxelles.
« Les partisans du traité pourraient demander d’ajouter un nouveau texte à l’accord, juridiquement contraignant », suggère Sophie Wintgens. Un tour de passe-passe dont l’UE est plutôt coutumière mais qui risquerait aussi de se heurter à l’opposition des pays sud-américains, en particulier du Président brésilien Jair Bolsonaro, connu pour ses positions climato-sceptiques.
Autrement dit, faute d’un plan B acceptable par toutes les parties, le traité ne verra probablement jamais le jour.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Membre permanents : Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay, le Venezuela ayant été suspendu.