Après une année noire pour le commerce international en 2020, et un recul sans précédent des exportations françaises, un rebond se profile pour 2021. Timide, il se traduira néanmoins par des opportunités sectorielles pour les exportateurs français. Le Moci a fait le point avec Selim Ozyurt, l’économiste France d’Euler Hermes.
Quelles que soient les sources, elles sont unanimes : l’année 2020 sera une année noire pour le commerce mondial, sans doute pire qu’au lendemain de la grande crise financière de 2008/2009. Avec une croissance du PIB mondial en recul supérieur à -10 % depuis le début de l’année, plombé par les mesures de confinement strictes du premier semestre, l’impact négatif sur les échanges mondiaux est violent et généralisé. Le recul pourrait atteindre -13 % sur l’ensemble de l’année, selon l’OMC.
La France a encaissé le coup : au premier semestre, son déficit commercial s’est aggravé de 5 milliards d’euros (Mds EUR) par rapport à la même période de 2019 pour atteindre -34 Mds EUR. Avec – 21,5 %, ses exportations ont chuté plus fortement que ses importations (-17,6 %). A l’exception des produits pharmaceutiques, tous les produits ont perdu à l’export, dont l’aéronautique (-47,2 %), l’automobile (-38,1 %) et dans une moindre mesure l’agroalimentaire (-4,9 %).
En 2020, forte chute de la demande mondiale adressée à la France
Selon une récente note du Trésor français*, la demande mondiale adressée à la France reculerait de – 11 % en 2020. Chez Euler Hermes, les prévisions pour 2020 sont toutefois plus sombres.
« Nous sommes définitivement plus pessimiste avec une estimation de recul de – 18 % sur l’ensemble de l’année 2020, nous déclare Selim Ozyurt, économiste France chez Euler Hermes. Notre modèle se base sur les chiffres de la première partie de l’année : la demande adressée à la France a chuté de – 25 % au deuxième trimestre par rapport à la même période de l’année 2019, avant de rebondir de 16 % au troisième trimestre, insuffisant pour rattraper la perte. A la fin de l’année 2020, nous anticipons une perte totale de 100 milliards d’euros de demande mondiale de biens par rapport à une année 2019, qui était une bonne année, et 140 milliards d’euros si l’on y ajoute les services ».
Principaux motifs de prudence : les incertitudes sur l’évolution des principaux débouchés des exportations françaises d’ici à la fin de l’année, en Europe et outre-Atlantique. Les importations des principaux partenaires peinent à repartir non seulement dans les secteurs déjà en souffrance comme l’aéronautique ou l’automobile, mais aussi les produits intermédiaires comme la chimie.
Et le tropisme européen des exportations françaises pèse dans la balance : « à court terme, il y a une importante incertitude sur l’évolution de la demande mondiale de biens et de services : la prévision actuelle porte sur un recul de -13 % en volume et de -16 % en dollars en 2020. Or, environ 60 % de nos exportations sont destinées à l’Union européenne, zone où on peine à sortir des mesures de confinement face au regain de la pandémie de Covid-19 » constate l’économiste.
Pour l’heure, la tendance n’est en effet pas très optimiste : « Si l’on regarde les principaux partenaires, l’Allemagne, qui absorbe 14 % de nos exportations en temps normal, pourrait enregistrer un recul de -8,6 % de ses importations sur l’année, déplore l’économiste. Tous les secteurs industriels ont été impactés par ce recul des importations, en particulier les producteurs d’intrants et de biens intermédiaires, comme ceux du secteur chimie-pharmacie. La tendance est similaire pour l’autre grand partenaire que sont les Etats-Unis ».
Dans le détail, selon les estimations d’Euler Hermes, la demande de biens adressées à la France par ses principaux partenaires européens enregistrera de forte baisse en 2020 : – 14 Md EUR pour l’Allemagne, -7,5 Md EUR chacun pour l’Espagne et l’Italie, – 7 Md EUR pour la Belgique.
Cela ne sera pas mieux au grand export où l’assureur-crédit prévoit une baisse de la demande adressée à la France de -8,4 Mds EUR pour les Etats-Unis, – 4, 2 Mds EUR pour la Chine, – 1,7 Md EUR pour Singapour, -1,5 Md EUR pour le Japon.
Principaux secteurs impactés : la chimie (- 13,9 Mds EUR), l’agroalimentaire (-12,5 Mds EUR), les matériels de transports et équipements (-10,4 Mds EUR), les machines et équipements (- 10 Mds EUR) et le secteur pharmaceutique (- 7,6 Mds EUR).
Un rebond attendu des importations, stimulé par les plans de relance
Il faudra donc attendre 2021 pour un rebond plus franc des importations de nos partenaires, stimulé par les plans de relance économique mis en œuvre par leurs gouvernements. Selon la DG Trésor, le commerce mondial se redresserait de + 6,5 % l’an prochain.
Après les pertes de 2020, les prévisions de croissance pour 2021 des conjoncturistes sont en effet positives pour la plupart des pays, même si elles ne permettront pas un rattrapage des pertes de 2020 dès 2021. Mais leur réalisation dépendra fortement de l’évolution de la pandémie de Covid-19 et des mesures de confinement ou de restriction d’activité qui pourront être mise en œuvre pour y faire face, comme en ce moment dans toute l’Europe.
Selon les chiffres fournis dans la note de la DG Trésor déjà citée, globalement, les prévisions de croissance économique 2021 s’établissent à l’heure actuelle à + 5,2 % sur le plan mondial, dont + 6, 3 % pour la zone euro, +3 % pour les Etats-Unis, + 2,7 % pour le Japon, +7,2 % pour le Royaume-Uni, + 4,5 % pour l’Allemagne, + 5, 8 % pour l’Italie et + 8,4 % pour l’Espagne.
Les économies émergentes repartiraient pour leur part avec +5,9 %, après un recul de – 2,8 % en 2020. Les prévisions tablent sur une croissance de + 2,2 % pour le Brésil, + 7,9 % pour la Chine, + 7,3 % pour l’Inde, + 2,9 % pour la Russie, + 5,5 % pour la Turquie.
L’impact des plans de relance sera déterminant en Europe. « Nous sommes davantage optimiste pour 2021 grâce à l’Europe et aux différents plans de relance mis en œuvre par l’Union européenne, à hauteur de 750 milliards d’euros, et nos principaux partenaires, en particulier l’Allemagne et l’Italie », confirme Selin Ozyurt.
Ces plans de relance sont évalués, pour les mesures comparables de soutien à la consommation et aux investissements, à un montant de 143 Mds EUR pour l’Allemagne et 31 Mds pour l’Italie, à comparer aux 100 Md EUR du plan français.
L’impact sur la croissance de ces pays en 2021 sera sensible, et par conséquent sur leurs importations. « Lorsque vous générez 1 % de croissance supplémentaire, l’impact sur la croissance des importations est de 3,1% en France, 2, 1 % pour l’Allemagne et les Etats-Unis, 4,3 % pour l’Italie » explique Selin Ozyurt.
Les exportateurs français bien placés sur certains marchés
Globalement, Euler Hermes estime que la demande supplémentaire adressée à la France sera de 40 Md EUR en 2021. Logiquement, « nous sommes bien placés pour profiter de la reprise en Allemagne et aux Etats-Unis » souligne Selin Ozyurt.
En revanche selon elle, la reprise dans d’autres zones comme l’Afrique, et notamment l’Afrique du Nord, aura un impact moins important car les conséquences économiques de la pandémie ont été plus sévères que prévues : « dans les pays du Maghreb, nos premiers partenaires sur le continent africain, le rattrapage n’aura pas lieu avant 2021 ».
En revanche, la France est pénalisée par l’importance du tourisme, dont la crise cette année en raison de la Covid-19 a plombé sa balance des services et indirectement les échanges de biens qui sont liés à cette activité : « On avait un excédent de + 11 milliards d’euros dans les voyages en 2019, il était tombé à 0,5 milliard en juillet 2020 et il est improbable que nous puissions dégager un excédent fort en 2020 dans le contexte actuel » estime l’économiste.
Enfin, une incertitude s’ajoute au contexte sanitaire incertain, le Brexit : « dans le cas d’un non-accord, tout le monde perdrait » déplore Selin Ozyurt.
Des secteurs mieux placés que d’autres pour profiter du rebond
Clairement, c’est le commerce BtoB qui devrait le plus vite repartir à l’export. Pour Selin Ozyurt, « les secteurs comme la chimie et la pharmacie ont plus de potentiel pour bénéficier des retombées du regain de croissance économique en 2021 à l’export car les plans de relance de nos principaux partenaires ont de forts contenus en investissement. Mais l’Agroalimentaire devrait également en bénéficier ».
« En revanche, la reprise de la demande adressée à la France sera plus lente pour les biens de consommation, le luxe, et donc des secteurs comme l’automobile, le textile, l’électronique », poursuit l’économiste.
Compte-tenu de la crise persistante du transport aérien, plombé par les restrictions aux déplacements pour raison sanitaire, « l’aéronautique va également continuer à souffrir ».
Un lot de consolation sera fourni par l’énergie : « nous ne prévoyons pas d’aggravation de la facture énergétique car le prix des carburants restera bas et l’euro devrait rester fort par rapport au dollar » conclut Selim Ozyurt.
Christine Gilguy
*TrésorEco n° 266, septembre 2020 p. 10
Pour prolonger :
Euler Hermes vient de publier une étude comparative des plans de relance français et allemand (en anglais) dont les travaux ont été conduits par Selim Ozyurt, intitulée German ‘Wumms’ vs French ‘Relance’ : Who does it better ? Le document est dans le PDF attaché à cet article.