Avec le Covid-19, le marché du vin aux États-Unis se transforme. En raison du confinement et de la baisse de l’activité, le consommateur change et la distribution aussi. Les professionnels de l’Hexagone doivent donc être attentifs, car certaines tendances actuelles s’annoncent durables, expliquaient plusieurs experts participant à un wébinaire que Vitisphère et Business France ont organisé, le 4 mai, sur le marché du vin en Amérique du Nord.
Premières conséquences de la crise sanitaire, détaillait ainsi Manilay Saito, chef du pôle Vins, spiritueux, bières Amérique du Nord de Business France, il y a une forte hausse de la consommation de boissons alcoolisées, au profit des produits locaux et des grands formats (3 litres) et entrées de gamme.
Côté distribution, parallèlement à l’effondrement du foodservice pour cause de fermeture des restaurants, les ventes en grandes et moyennes surfaces et chez les cavistes se développent, car elles ne nécessitent pas de disposer d’un moyen de déplacement.
Malgré l’autorisation de la vente à emporter, quelque 30 % des restaurants pourraient ne pas rouvrir, d’après certaines projections. Dans ce contexte, l’autre grand vainqueur comme dans tous les pays du monde, est la vente en ligne, qui explose chez les cavistes qui s’empare du online. L’e-commerce est souvent associé au pick-up et à la livraison à domicile. A fin mars, le e-commerce aurait gagné 243 % chez les cavistes par rapport à la période correspondante de l’an dernier.
En Californie, le ras-le-bol des files d’attente
Compte tenu de la situation délicate de certains clients américains, notamment du secteur Horeca (Hôtellerie-restauration-cafés), Manilay Saito conseille de faire preuve « de solidarité et d’empathie » en attendant la reprise. D’innover aussi, par exemple, avec des packagings alternatifs (canettes…), de se placer dans des niches (crémants, biodynamie…). Et, de façon plus générale, de rechercher un bon rapport qualité-prix.
Président de Wine Wine Situation à Los Angeles (Californie), Didier Sayah importe dans une vingtaine d’États et distribue en Californie essentiellement dans les grandes chaînes de distribution (Costco, The Whole Foods, Trader Joe, ABC…). Premier État à avoir été confiné, la Californie devrait assouplir son dispositif à partir du 8 mai. Mais il est probable que les restaurants ne seront pas rouverts.
Selon Didier Sayah, « les ventes ont explosé dans les magasins de proximité » que privilégient de plus de consommateurs ne voulant pas se déplacer en voiture et agacés par les files d’attente, parfois très longues, des grands magasins du géant de la grande distribution Costco.
Dans cette chaîne, les prix oscilleraient entre 10 et 20 dollars la bouteille. La fourchette moyenne serait, toutefois, un peu plus élevée, entre 15 et 25 dollars et dans la catégorie supérieure entre 25 et 50 dollars.
Au Texas, la majorité des restaurants reste fermée
La situation est très différente chez Rootstock Wines, un distributeur d’Austin (Texas) qui livre des produits italiens et français de vignerons indépendants au réseau Horeca.
Le Texas est confiné depuis le 19 mars. Le gouverneur a alors décidé de fermer bars et restaurants, tout en y autorisant la vente à emporter, y compris pour l’alcool. Si, depuis le 1er mai, les magasins ont été rouverts pour les produits non essentiels, la majorité des restaurants reste fermée au public, parce que la capacité d’accueil autorisée est limitée à 25 %, ce qui permet difficilement de parvenir au seuil de rentabilité.
Comme en Californie, au Texas, selon Patrick Burke, directeur des Opérations de Rootstock Wines, les consommateurs réduisent leurs déplacements et les ventes en supermarché explosent. Par ailleurs, les vins les plus sollicités se situent sous la barre des 15 dollars la bouteille. « Pour le vin français, champagne a chuté, mais Côte du Rhône, Sancerre, le rosé, des catégories déjà très demandées avant la crise sanitaire, sont toujours recherchés », selon Patrick Burke.
Alors que la période est difficile, Rootstock Wines cherche à modifier son approche. La relation personnelle est importante avec le client, car c’est en consolidant les liens que les contacts peuvent déboucher sur des commandes. Si Wine Wine Situation renouvelle chaque année 40 % de son portefeuille de produits « en fonction de la demande », précise Didier Sayah, Roostock Wines, pour sa part, puise dans son stock. Enfin, pour attirer la clientèle, la société texane réalise des opérations de discount.
D. Sayah : « nous travaillons sur des produits entre 8,99 et 14,99 dollars »
En dépit de la montée en puissance du chômage, « les Américains achèteront toujours du vin et nous travaillons déjà sur des produits entre 8,99 et 14,99 dollars la bouteille et rester au-dessus de 24,99 dollars pour les autres vins », confie Didier Sayah.
S’agissant de l’avenir du champagne, bousculé déjà avant le Covid-19 par le prosecco et aujourd’hui des produits qui montent, comme le crémant, Didier Sayah rappelle que les nouveaux entrants sont rares. En effet, les Américains retenant les marques, ils portent toujours leur dévolu sur les mêmes produits. Ensuite, ce professionnel est persuadé qu’une fois la crise passée, le champagne redeviendra le produit de « célébration ». Un avis partagé par Patrick Burke, pour qui le champagne demeure un vin « de fête ».
Un tel optimisme paraît d’autant plus justifié que le champagne n’est pas soumis au droit de douane de 25 % ad valorem qu’impose Washington aux vins tranquilles (non effervescents) de France depuis le 18 octobre 2019 dans le cadre de l’affaire des subventions européennes illégales à Airbus. Sauf si, bien sûr, lors de la prochaine révision des sanctions américaines, prévues dans la première quinzaine de septembre, l’Administration américaine décidait de modifier non seulement les taux, en les relevant notamment, mais aussi la liste des vins, y incluant ainsi le champagne.
Négociations américano-européennes sur l’aéronautique
Conseiller agricole à l’ambassade de France aux États-Unis, Sylvain Maestracci ne croit pas à un tel scénario.
D’abord, parce que lors de la première revue du dispositif en février, rien n’a été changé. Il y a eu une levée de boucliers de la part des importateurs et distributeurs de vin américains et, si Donald Trump était passé outre, il est improbable, selon lui, que le chef de la Maison Blanche prendra encore le risque de mécontenter à deux mois des élections présidentielles.
Ensuite, avec le Covid-19, les difficultés économiques s’accumulent et le taux de chômage explose. La priorité serait plutôt de sortir par le haut du contentieux aéronautique alors que, dans une procédure miroir, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) devrait autoriser cet été l’Union européenne à imposer elle aussi des droits de douane en réaction à des subventions indues versées par le gouvernement américain à Boeing.
Des emplois sont aussi en jeu aux États-Unis, à un moment où la Chine monte en puissance dans la construction aéronautique et que les compagnies aériennes de la planète sont fortement touchées par le ralentissement économique. Une bonne nouvelle pour la santé du monde et de la filière vinicole française est donc attendue.
François Pargny