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L’exemption aux règles de concurrence fait des vagues

Les chargeurs et les commissionnaires de transport sont vent debout face à la probable prolongation de l’exemption aux règles de concurrence de l’Union européenne, qui déséquilibre leurs relations avec les alliances maritimes. L’énorme pouvoir de celles-ci est mis en exergue par l’International Transport Forum de l’OCDE.

 

Trois alliances dominent largement le transport maritime de conteneurs : 2 M (réunissant Maersk & MSC), Ocean Alliance (Cosco-OOCL, CMA CGM, Evergreen) et The Alliance (Hapag-Lloyd, Yang Ming & ONE, rejoints par HMM au 1er avril 2020) représentent ainsi environ 80 % du commerce global des conteneurs.

Les consortia exploitent en commun les affrètements et slots sur les navires et terminaux portuaires, développent l’échange de données. Cette collaboration doit permettre d’ajuster les capacités à la demande, de réduire les coûts, diminuer les formalités administratives et de rentabiliser les lignes maritimes.

 

Manque de choix
Olaf Merk, expert au Forum international des transports de l’OCDE, en explique les conséquences.

Ces trois grandes alliances ont un énorme pouvoir d’achat et peuvent opposer leurs fournisseurs de services, tels que les ports, les uns aux autres, décrit-il. Pour les chargeurs, en résulte un choix réduit pour le transport de leurs marchandises, car les offres de transport maritime sont pour la plupart similaires.

« Nous avons documenté ces impacts. Par exemple, le nombre de connexions directes de port à port a diminué, tout comme les fréquences de service hebdomadaires. Il existe de nombreuses indications du pouvoir de marché des transporteurs vis-à-vis des ports, tels Malaga, Tarente, Gioia Tauro, Zeebrugge ou Gênes » précise Olaf Merk.

 

Prolonger ou ne pas prolonger
La Commission européenne, garante de la concurrence libre, loyale et non faussée, a proposé en novembre 2019 de prolonger de quatre ans l’actuel règlement d’exemption par catégorie au droit de la concurrence des consortia maritimes de ligne régulière, qui expire le 25 avril 2020.
D’un côté, les armateurs sont opposés à la suppression de l’exemption. Hapag Lloyd a déclaré que face à des exigences réglementaires à travers le monde de plus en plus bureaucratiques et contraignantes, l’exemption offre le bon équilibre entre surveillance réglementaire et opérabilité économique.

De l’autre, chargeurs et professionnels de la logistique européens sont globalement opposés à sa reconduction. L’organisation européenne des commissionnaires de transport, le CLECAT, à laquelle TLF Overseas est affilié, s’oppose ainsi à la prolongation à l’identique de ce règlement d’exemption.

Camille Contamine, déléguée aux Affaires maritimes de TLF Overseas, dresse un bilan négatif de cette exemption : « la constitution des alliances n’a pas contribué à améliorer la qualité de service, comme le démontre le rapport de l’International Transport Forum à l’OCDE. Elle a en revanche renforcé la position des alliances sur un marché très concentré, et a pu conduire à un déséquilibre dans les relations des parties au contrat : l’application des clauses a été fortement resserrée, clauses qui peuvent parfois être qualifiées de léonines. Les organisateurs de transport ont très peu de marges de négociation et n’ont pas la possibilité d’aller voir ailleurs. Les compagnies ont par ailleurs longtemps été accusées d’appliquer des surestaries (indemnités dues si le délai de chargement/déchargement est dépassé) pour compenser le faible taux de fret. De plus, certaines compagnies proposent elles aussi des solutions de commissions de transport et bénéficient de ces avantages européens contrairement aux organisateurs de transport. Nous avons besoin de données plus étayées et un bilan des bénéfices de cette exemption sur le consommateur : la réduction des coûts au profit des compagnies n’est pas un argument suffisant au regard du traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). »

 

Repenser les conditions d’exemption
Olaf Merk analyse : « on pourrait s’attendre à ce que le règlement soit aligné sur les nouvelles priorités politiques. L’agenda de la nouvelle Commission européenne qui a pris ses fonctions en décembre 2019 met l’accent sur la politique industrielle, la géopolitique et un accord vert européen. La manière dont l’extension du règlement d’exemption actuel s’aligne sur ces priorités n’est pas aussi claire. Mais s’il est jugé essentiel de maintenir une exemption spécifique aux transports maritimes des règles de concurrence de l’UE, c’est peut-être le moment de redéfinir ses conditions. On pourrait penser à une exemption par catégorie qui ne s’applique qu’aux compagnies de ligne opérant de manière prédominante dans les eaux de l’UE, ou uniquement aux consortia sur les routes intra-UE, ou à des navires répondant à certains critères, comme leur efficacité énergétique, la part des marins de l’UE dans l’équipage, et l’utilisation d’installations de recyclage de navires agréées par l’UE. »
À l’heure où vous lirez ces lignes, la décision finale de la Commission européenne ne devrait pas tarder ou aura été prise, provoquant des remous dans son sillage.

Ch. Calais

 

Trois questions à Denis Choumert, président de l’Association des Utilisateurs de Fret (AUTF)

Le Moci. Quelle est votre position sur l’exemption des règles de concurrence ?
Denis Choumert. Le marché du transport de conteneurs est très concentré. Nous nous battons contre la prolongation de l’exemption des règles de concurrence, même si c’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer, et qu’il y a beaucoup de chances qu’elle ait lieu. Et la Commission européenne a sans doute de plus grandes batailles à mener.

Le Moci. Quelles sont vos attentes vis-à-vis des alliances ?
D. C. Nous constatons une dégradation de la qualité de service, avec la diminution du taux de ponctualité, des escales sautées… Nous, chargeurs, souhaitons de la part des armateurs et des alliances plus de visibilité sur les informations relatives à la qualité de service, et plus de transparence sur les prix, notamment sur les surcharges (fuel, coronavirus…).

Le Moci. Qu’avez-vous prévu à ce sujet lors du SITL ?
D. C. Lors de la journée maritime du SITL, nous allons publier le baromètre de satisfaction des chargeurs sur les services des armateurs au niveau européen, et sur les services portuaires en France.

Propos recueillis par Christine Calais

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