L’après Brexit reste plein d’incertitudes. Les négociateurs britanniques et européens se sont retrouvés lundi 2 mars à Bruxelles pour entamer les discussions sur les termes de leur relation future. Le climat est électrique tant les sujets de désaccord sont nombreux.
A l’issue d’un entretien bilatéral d’une heure dans l’après-midi, Michel Barnier, le Monsieur Brexit de la Commission, et son homologue britannique, David Frost, ont donc donné le coup d’envoi de ces pourparlers qui ont mobilisé, pendant quatre jours, une centaine de personnes de chaque côté.
Un point s’impose.
Temps limité, onze groupes thématiques
A l’amorce de ces discussions, les contentieux sont nombreux et le temps est compté. Les deux camps devront se mettre d’accord d’ici au mois de septembre afin de laisser du temps à la procédure de ratification, la fin de la période de transition étant fixée au 31 décembre.
Londres se refuse à prolonger cette phase, faisant resurgir le spectre d’un Brexit sans accord, avec du jour au lendemain, la possibilité que soient introduits des droits de douanes et des contrôles des marchandises aux frontières.
Pour mener ces négociations, les équipes ont été scindées en onze groupes distincts articulés autour d’autant de thèmes tels que le commerce, les transports, l’énergie, les conditions de concurrence, la pêche ou la coopération judiciaire.
Mais compte tenu du calendrier très serré, la Commission a défini trois domaines prioritaires : la mise en place de conditions de concurrence loyale (level playing field) dans le futur accord de libre-échange ; le règlement des différends ; la pêche.
Des sujets potentiellement explosifs
Ces sujets sont potentiellement explosifs. Les mandats de négociations, adoptés fin février à Bruxelles puis à Londres, révèlent en effet des divergences importantes entre les deux blocs.
Alors que l’UE souhaite un alignement des standards britanniques sur les normes européennes – condition sine qua non pour autoriser un large accès à son marché intérieur aux conditions de «zéro quota, zéro droit de douane» -, Londres entend bien reprendre la main sur sa législation, faisant entendre qu’il s’agissait là du principal objectif du Brexit.
Le mandat européen place aussi la Cour européenne de justice au cœur du système de règlement des différends. Une « ligne rouge » pour les Britanniques qui refusent d’être tributaires d’une juridiction européenne au nom d’une relation entre États égaux et souverains.
Le dossier épineux de la pêche
Mais c’est bien le dossier de la pêche qui apparaît d’emblée comme l’un des plus contentieux de ces pourparlers. « Il n’y aura pas d’accord commercial sans accord sur la pêche », n’a cessé de rappeler la Commission au cours de ces dernières semaines.
Or un océan de différences sépare les positions de deux camps. Alors que l’UE défend un compromis qui permettrait de préserver l’accès réciproque aux zones de pêche et « maintenir des parts de quotas stables », le Royaume-Uni compte bien devenir un « État côtier indépendant » à la fin de 2020. Faisant fi des droits acquis par le passé, Londres préconise de négocier annuellement l’accès aux eaux territoriales britanniques.
De quoi susciter les craintes de plusieurs États membres comme la France, la Belgique, les Pays-Bas ou le Danemark, dont 40 % des produits de la pêche proviennent des eaux britanniques. « A Ostende, 75 % des poissons vendus à la criée proviennent des eaux britanniques. C’est 70 % à Boulogne », détaille Pierre Karleskind, eurodéputé français (groupe Renew), Président de la commission Pêche au Parlement européen (PE).
Après avoir écumé les ports français, belges, néerlandais et irlandais, à la rencontre des pêcheurs concernés, l’élu macronien s’est montré très inquiet des conséquences potentielles d’un Brexit sans accord. « Économiquement, c’est très lourd. Surtout en cas de hard Brexit », confie-t-il. Des milliers d’emplois sont en jeu dans la pêche mais aussi dans la transformation de ces produits.
Bruxelles prépare sa riposte
A Londres, au contraire, le gouvernement de Boris Johnson veut faire de ce secteur le symbole par excellence du « let’s take back control » (reprenons le contrôle), le credo des Brexiters les plus durs. Même si la pêche pèse à peine pour 1 % dans le PIB britannique, « Johnson cherchera une victoire politique », avertit Pierre Karleskind.
D’où la volonté de Bruxelles, en position de relative faiblesse sur ce dossier, de négocier un paquet global dans lequel l’accord commercial sera associé à un accord sur la pêche et sur une concurrence loyale « ou il n’y aura pas d’accord du tout », a menacé Michel Barnier. « Sans accord sur la pêche, il n’y aura pas de feu vert au Parlement », a renchéri le Président français de la commission Pêche au PE.
Les Vingt-sept ont déjà préparé leur riposte. Faute d’accès aux eaux britanniques, les pêcheurs du Royaume-Uni se verront barrer l’accès au marché européen à coup de taxes prohibitives. « Ils devront manger leur poisson au petit-déjeuner, à midi et le soir ! », ironise un diplomate belge cité par le quotidien francophone Le Soir.
B. Johnson, un adversaire plus coriace que T. May
Les rapports de force ont néanmoins changé. Les Européens entament cette deuxième phase de négociation dans une position moins solide que lors de la précédente, qui visait alors à définir les termes du divorce.
Disposant d’une majorité fragile au Parlement britannique, à la tête d’un cabinet divisé, Theresa May disposait de peu de leviers face aux Vingt-sept, plus unis que jamais. Boris Johnson peut, lui, s’appuyer sur une majorité inédite à la Chambre des communes. A la suite d’un remaniement ministériel, mi-février, il s’est aussi entouré d’une équipe essentiellement constituée de Brexiters convaincus.
Autre atout non-négligeable pour le Royaume-Uni : la perspective d’un accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis. Le Département britannique pour le Commerce extérieur a en effet fait savoir qu’il avait mis sur pied une équipe « de classe mondiale » pour mener à bien ces pourparlers. Une façon de mettre la pression sur Bruxelles. Car si Londres parvenait à s’entendre rapidement avec Washington, ce succès politique pourrait porter un coup brutal au projet européen.
Un premier bilan au mois de juin
Dans ce contexte, l’UE aura plus de mal à imposer ses conditions même si elle bénéficie encore d’un levier de taille : le vieux continent reste en effet le premier partenaire commercial du Royaume-Uni (40 % de ses exportations). Toute la question au cours de ces prochains mois sera donc de savoir si un terrain d’entente est possible.
« Dans toute négociation, il y a toujours un peu de posture», analyse Fabian Zuleeg, du European Policy Centre (EPC), un think-tank influent basé à Bruxelles. Pour cet expert, si les conditions d’un accord, en particulier sur la concurrence, « n’apparaissent pas comme un diktat, un copié-collé de l’alignement européen (…) une zone d’atterrissage commune est possible », estime-t-il dans un entretien accordé à l’AFP.
Un premier bilan des négociations est programmé en juin. Mais les Britanniques ont déjà averti qu’ils quitteraient la table des négociations si aucun progrès significatif n’était réalisé d’ici là.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles