L’eau et l’assainissement méritent d’urgence un traitement accru. Les trois priorités dans ce domaine de la France à l’international ont ainsi été présentées, le 24 février, par Jean-Baptiste Lemoyne (notre photo), secrétaire d’État à l’Europe et aux affaires étrangères, à l’occasion de la parution de la nouvelle Stratégie internationale de la France pour l’eau et l’assainissement (2020-2030), un document de 40 pages que vient de publier le Quai d’Orsay.
Face à la plupart des acteurs français de l’eau (État, établissements public, collectivités, agences de bassin, instituts de recherche…), Jean-Baptiste Lemoyne a détaillé « les trois axes de la feuille de route de la France sur dix ans : améliorer la gouvernance à l’échelle locale et mondiale, accroître l’efficacité de l’appui et augmenter les moyens mis sur la table ».
Rapprocher les acteurs de l’eau
Premier axe prioritaire, les acteurs locaux « doivent s’approprier et gérer » l’approvisionnement et le traitement de l’eau, a souligné Jean-Baptiste Lemoyne. Pour autant, il faut que l’eau soit « source de gestion concertée » et pour éviter l’éparpillement des acteurs des rapprochements soient effectués avec Onu-eau (mécanisme de coordination inter-agence des Nations Unies).
Dans sa stratégie internationale, la France a des atouts à faire valoir. « La gestion des ressources doit se faire au niveau des bassins versants », selon le secrétaire d’État. « C’est une spécificité française et je crois qu’elle est reconnue aujourd’hui », a-t-il ajouté.
Les acteurs français de l’eau sont ainsi « influents au niveau mondial », notent les rapporteurs de la Stratégie du ministère.
Et de citer un certain nombre de collectifs réunis au sein du Partenariat français pour l’eau (PFE), d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’organismes de formation et de recherche.
Mais aussi « des acteurs privés mondialement reconnus », à l’instar de Veolia et Suez, des bureaux d’études BRL Ingénierie, Egis, Seureca, Suez Consulting, Artelia, Merlin, des sociétés de construction Sogea, Eiffage ou Razel, des équipementiers comme PAM pour les canalisations et les fabricants de compteurs ou de pompes.
L’échec de la communauté internationale
La France a donc une expérience à partager, alors que l’on sait que l’ODD 6, c’est-à-dire l’un des 17 Objectifs de développement durable (ODD) fixés en 2015 par l’Onu, ne sera pas atteint en 2030 comme prévu. L’ODD 6 vise « à garantir à tous l’accès à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ».
A ce jour, 2,5 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau et 3 milliards ne disposent pas d’installations pour se laver les mains, a indiqué Jean-Baptiste Lemoyne. Et parfois avec des écarts conséquents entre grandes zones géographiques.
« Si 30 % de la population mondiale n’a pas accès à de l’eau en toute sécurité et 55 % à l’assainissement en toute sécurité, on monte à 80 %, voire plus en Afrique subsaharienne », a expliqué Céline Robert, responsable de la division Eau et assainissement à l’Agence française de développement (AFD).
Améliorer la qualité de l’appui
Deuxième priorité de la France, une meilleure qualité de l’appui. Ce qui doit passer par une meilleure diffusion et connaissance des informations scientifiques, une amélioration aussi dans la gestion de l’offre et la demande, une plus grande planification des usages et une intervention accrue au plus près des populations.
« L’eau est au centre de tout, elle est essentielle pour l’éducation comme la santé. Dans ces conditions, il faut que la France joue un rôle politique de leader pour que l’agenda [international] gagne en pertinence et en urgence et que politiques, parlementaires, agences des Nations Unies, société civile, entrepreneurs se réunissent autour d’une table géante mondiale », a exhorté Catarina de Albuquerque, première rapporteuse spéciale de l’Onu sur le Droit à l’eau potable et à l’assainissement.
Augmenter les moyens financiers
La troisième priorité de la France est d’augmenter les moyens financiers, conformément aux décisions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) du 8 février 2018, au cours duquel il a été indiqué que l’Aide publique au développement (APD) devait atteindre 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022.
En 2017, alors que l’eau n’était pas encore considérée comme un secteur prioritaire, la France se plaçait déjà au troisième rang des donateurs au sein du Comité d’aide au développement (Cad) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Avec 869 millions sur un total de 4,7 milliards d’euros, elle se situait derrière le Japon (1,315 milliard) et l’Allemagne (1,236 milliard).
« On doit continuer et on va passer de 38 millions par an à 137 millions », a précisé Jean-Baptiste Lemoyne.
Opérateur pivot de l’APD bilatérale française, l’AFD accorde aussi des prêts non concessionnels, qui ne relèvent donc pas de l’APD au sens du Cad de l’OCDE. Ainsi, depuis 2014, les engagements de l’agence ont été plus que doublés pour s’élever à 1,4 milliard d’euros en 2019.
Renforcer les capacités techniques et institutionnelles
Malgré les efforts de l’Hexagone et d’autres, de fait, on reste loin de satisfaire les besoins réels dans le monde.
La Banque mondiale, qui est le premier bailleur de fonds de la planète dans l’eau (1,421 milliard d’euros en 2017), estime qu’il faudrait 200 milliards d’investissement par an pour atteindre l’ODD 6. Et, ajoutait Céline Robert, il faudrait doubler ce chiffre pour tenir compte du coût d’exploitation.
De telles contraintes financières ont amené l’AFD à se concentrer, non seulement sur la qualité des infrastructures, mais aussi du service. Comme il faut accroître les capacités financières et techniques des acteurs locaux, 90 % des engagements de l’AFD entre 2014 et 2018 ont compris des transferts de capacités techniques (assistance, formation…) et 43 % de l’appui institutionnel (gouvernance, formulation des politiques, quantification des moyens financiers…). L’agence publique faisait ainsi appel à des bureaux d’études et d’autres opérateurs comme les sociétés de travaux.
S’agissant des coûts d’exploitation, la seule solution est de trouver les moyens de les couvrir par les tarifs. Ce qui nécessite la mise en place d’un dispositif performant, prévoyant des subventions, des mécanismes de péréquation ou encore de régulation des acteurs informels.
La priorité africaine de l’AFD
« L’eau est le marqueur du dérèglement climatique ». Et c’est pourquoi, a rappelé Frédéric Maurel, responsable adjoint de la division Eau et assainissement de l’AFD, « 100 % de nos financements doivent être compatibles avec l’Accord de Paris et qu’au critère de climat nous ajoutons aujourd’hui celui de la biodiversité ».
C’est ainsi que l’agence est intervenue pour financer la réalisation du schéma directeur du Bassin du Niger, gérer la rareté de l’eau, la répartir efficacement et éviter les surexploitations en Tunisie et Jordanie. Elle a aussi soutenu l’extension du système de production d’eau potable de Nairobi au Kenya avec un dispositif de transfert par gravitation et le projet de traitement d’une part importante des effluents d’une centrale d’épuration dans la bande de Gaza.
Géographiquement, 45 % de l’APD française dans l’eau et l’assainissement ont été concentrés en Afrique subsaharienne entre 2005 et 2017. Le Moyen-Orient est monté en flèche. L’Afrique restera, néanmoins, le premier champ d’intervention, en particulier de l’AFD, dans le futur.
François Pargny