Lors du Forum Afrique Moci Cian 2020, le 7 février, la monnaie unique était au cœur des débats de la table ronde sur l’environnement financier. A l’heure où l’on parle de la naissance de l’Eco en Afrique de l’Ouest, elle n’est pas apparue comme la panacée, notamment pour stimuler le commerce régional.
Les discussions ont tourné notamment autour de trois monnaies : le rand sud-africain en Afrique australe, le shilling kényan en Afrique de l’Est, le franc CFA en Afrique francophone, qui pourrait laisser la place à l’Eco au moins dans une partie de la zone Franc.
1.Le rand sud-africain.
En Afrique australe, l’Afrique du Sud, le Lesotho, la Namibie, l’Eswatini (ex-Swaziland) ont créé l’Aire monétaire commune (CMA), parallèlement à l’Union douanière d’Afrique australe (Sacu). « Le rand sud-africain sert de monnaie pivot, mais chaque membre de la zone a conservé sa monnaie nationale qui tourne autour du rand et ça fonctionne », a souligné Francesco de Musso, directeur général de BGFIBank.
Afrique orientale : l’écueil de la souveraineté nationale
2.Le shilling kényan.
La question posée à Thierry Apoteker, CEO du cabinet Tac Economics, était la suivante : pourrait-on aboutir à un résultat comparable en Afrique de l’Est, par exemple autour du Kenya, poids lourd régional ? Non, pas pour le moment, a démontré l’expert français.
Et pourtant les arguments ne manqueraient pas pour que le shilling kényan joue un rôle pivot. En effet, la région jouit d’une certaine diversification de son économie, d’une certaine convergence et intégration régionale (avec la création de la Communauté d’Afrique de l’Est/EAC et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe/Comesa) et les échanges ne cessent de grimper, malgré l’absence de monnaie commune.
Que manque-t-il alors pour franchir le pas de la monnaie unique ? Le préalable à tout : « accepter le transfert de souveraineté ». Or, « ce à quoi on assiste, ce sont à des résistances de part et d’autre », a pointé Thierry Apoteker.
Afrique francophone : le début de la fin du franc CFA
3.Le franc CFA.
Il est utilisé dans les huit États de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et les six pays de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (Cemac). Cette monnaie est liée par une parité fixe à l’euro, après l’avoir été au franc français.
La coopération monétaire entre Paris et les capitales de cette zone est aujourd’hui remise en cause. « La monnaie a une composante symbolique et politique. Et garder le nom de CFA peut dès lors apparaître, faut-il reconnaître, comme un anachronisme », a soutenu le président de Tac.
On se souvient que lors d’une conférence de presse, le 21 décembre 2019 à Abidjan d’Emmanuel Macron avec son homologue ivoirien Alassane Ouattara, le président français avait reconnu qu’il y avait de « fortes attentes pour réformer en profondeur le partenariat entre la France et l’Uemoa ».
Il s’était félicité, néanmoins, que les chefs d’État de la zone aient fait « le choix » de préserver ce qui en fait « la force et la stabilité macroéconomique », à savoir « la parité fixe de la monnaie commune avec l’euro d’une part, et la garantie de la France d’autre part ».
Un choix qui peut rassurer, il est vrai, un certain nombre d’investisseurs. Ainsi, Stoa Infra & Énergie, filiale de la Caisse des Dépôts et de l’Agence française de développement (AFD), est un investisseur à long terme dans les infrastructures et l’énergie. « Le risque de change est notre principal risque et, comme il n’existe pas de garantie sur des monnaies exotiques, on a besoin de stabilité et de convertibilité des monnaies. C’est pour cela que la zone CFA nous rassure », a exposé Charles-Henri Malécot, directeur général de ce fond d’investissement.
Les faiblesses de la diversification et du commerce régional
Le risque de change est aussi au cœur des préoccupations de Bpifrance, dont le fonds Averroès Africa a déployé 200 millions d’euros dans 25 fonds de capital investissement (lesquels ont profité à 180 sociétés). « Le fait d’être dans une quarantaine de pays et d’intervenir dans une douzaine de pays nous permet de diversifier le risque », a indiqué Élodie Doussa, directrice d’investissement à la banque publique.
Reste que le franc CFA rencontre des problèmes structurels, dont la faiblesse des réserves de change et les difficultés de transfert récurrents sont un des symptômes les plus visibles, et que la diversification économique est faible. « C’est clairement un handicap à l’intégration régionale et les échanges commerciaux sont aussi faibles », a fait observer Francesco de Musso.
Dans le total du commerce de la Cemac, les échanges régionaux pèseraient pour seulement 5 %. Cette part serait de 12 % dans l’Uemoa et à peine plus élevée, de 14 %, dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), une zone plus large que l’Ueoma avec des pays anglophones notamment.
T. Apoteker : avec le Nigeria, « ça ne peut pas fonctionner »
Comme le rappelait le président de la République à Abidjan, la « réforme » monétaire s’inscrit « en cohérence avec la dynamique du projet de monnaie unique à l’échelle de la Cedeao ». Emmanuel Macron citait le nom de cette monnaie, l’Eco, qui devait voir le jour en 2020. Mais cette perspective semble s’éloigner. Avec le géant nigérian, une zone monétaire, « ça ne peut pas fonctionner », a estimé, pour sa part, Thierry Apoteker.
Selon lui, « une intégration régionale pourrait toujours se faire, des facilitations aux frontières aussi, il y en a déjà dans la Cedeao ». Maintenant, a-t-il ajouté, si l’Eco est créé, « opte-t-on alors pour un taux de change fixe ? ».
Plusieurs questions doivent trouver des réponses : est-ce que la monnaie doit être arrimée encore à l’euro, sachant que pour l’Afrique les relations économiques avec la Chine sont beaucoup plus importantes relativement que pour l’Europe ? Est-ce qu’il faut imaginer un panier de devises ? Ou encore déterminer une bande de fluctuation monétaire ?
Un panier à trois devises pour refléter les échanges
Pour Francesco de Musso, un panier de devises a l’avantage de tenir compte des courants d’échanges et des différents partenaires. Les échanges de la Chine étant aussi essentiels que le commerce avec l’Union européenne (UE), le renminbi pourrait être retenu avec l’euro. Et puis, il faudrait aussi le dollar américain, monnaie de référence pour les matières premières.
De telles ambitions sont-elles susceptibles de rassurer les investisseurs ? Pas sûr. « On n’aime pas l’incertitude », a rappelé Charles-Henri Malécot, qui a ajouté que « si on veut une monnaie stable, alors il faut une économie solide avec une banque centrale indépendante ».
Pour sa part, Élodie Doussa a jugé que le lancement de monnaies uniques n’était pas « un gage de la qualité des investissements sur place ». Pour cette responsable chez Bpifrance, il faut absolument que les pays africains se dotent de champions nationaux et fassent de la diversification économique ». Sinon, ce serait un coup d’épée dans l’eau.
François Pargny