Sauver ce qui peut l’être du multilatéralisme sans attendre une plus ample réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), incertaine au vu du blocage américain. C’est dans ce but qu’en marge du Forum de Davos, l’Union européenne (UE) ainsi que seize pays membres de l’OMC, ont annoncé, dans un communiqué commun, leur intention de mettre en place un mécanisme d’appel provisoire multipartite.
Cette initiative vise à pallier la paralysie de l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC. Refusant de procéder au renouvellement des juges, les États-Unis ont de fait bloqué le fonctionnement de cette instance depuis la mi-décembre, empêchant ainsi l’arbitrage des conflits en cas de différends entre deux ou plusieurs de ses États membres.
Défendre une système fondé sur des règles
« L’UE démontre, de cette façon, qu’elle peut jouer un rôle déterminant sur la scène internationale et qu’elle parvient encore à mobiliser, derrière elle, une série de partenaires malgré l’opposition des États-Unis », résume un porte-parole de l’exécutif à Bruxelles.
Ursula Von Der Leyen avait promis une Commission géopolitique – c’est à dire qui intègre l’Europe dans un monde en grande évolution- et c’est peut-être là le premier signe concret de cette volonté affichée par la nouvelle présidente.
Au risque de fâcher les États-Unis, avec qui les relations sont particulièrement tendues dans un contexte de campagne électorale américaine, Bruxelles avance seule, entraînant dans son sillage seize autres pays de l’OMC dont des poids-lourds du commerce mondial comme la Chine, le Brésil, le Canada ou l’Australie.
Estimant « qu’un système de règlement des différends opérationnels de l’OMC est de la plus haute importance pour un système commercial fondé sur des règles », les signataires ont insisté sur le caractère transitoire du mécanisme, « jusqu’à ce qu’un organe d’appel réformé de l’OMC devienne pleinement opérationnel », indique le communiqué commun.
Une précision également relayée par Phil Hogan depuis Bruxelles : « Permettez-moi de souligner à nouveau que cela reste une mesure d’urgence nécessaire en raison de la paralysie de l’Organe d’appel de l’OMC. Nous poursuivrons nos efforts pour rechercher une solution durable à l’impasse actuelle », a commenté le commissaire au Commerce.
Ce langage prudent vise à tuer dans l’œuf les éventuelles critiques de Washington. Car si les États-Unis ont jusqu’ici rejeté toute solution provisoire – préférant une réforme globale de l’OMC – leur adhésion reste possible, l’arrangement étant ouvert à tous les membres de l’organisation genevoise. Mais le mécanisme imaginé « peut très bien fonctionner sans eux », précise-t-on à Bruxelles.
Une initiative menée de main de maître
En créant une alternative, même temporaire, à l’ORD, la Commission estime avoir remporté une nouvelle victoire pour maintenir sous perfusion un système multilatéral de plus en plus menacé. Car rien ne laissait présager la réussite de cette initiative menée de main de maître par les Européens.
Dépassant leurs propres divisions sur le sujet ils ont également réussi à s’assurer du soutien de seize pays membres de l’OMC alors que seuls le Canada et la Norvège s’étaient jusqu’ici formellement engagés à y participer.
Le ralliement de la Chine – État qui compte le plus de contentieux traités par le gendarme mondial du Commerce – donne inexorablement du poids à ce système provisoire imaginé à Bruxelles.
Éviter le retour de la loi de la jungle
Il ne s’agit pas, cependant, d’isoler les États-Unis mais d’éviter le retour de la loi de la jungle dans les relations commerciales mondiales. « Cet accord n’est dirigé contre personne. Ce n’est pas l’UE qui travaille avec un autre pays contre un autre mais un groupe de pays qui travaillent ensemble pour mettre en place une alternative temporaire », rectifie un haut fonctionnaire européen.
Dans le contexte actuel, marqué par la paralysie de l’ORD, les pays engagés dans des différends peuvent encore demander l’avis des experts de l’OMC mais le vainqueur ne serait plus en mesure de faire appliquer la décision, faute de possibilité de faire appel dans le camp des perdants. De quoi donner lieu à de nouvelles guerres tarifaires. Un scénario que les signataires du communiqué commun espèrent à tout prix éviter.
Un bémol toutefois. Plusieurs inconnues n’ont toujours pas été levées et risque de menacer le bon fonctionnement de cet organe d’appel provisoire.
Que se passerait-il en cas de différend impliquant les États-Unis
Aucune solution n’a ainsi été détaillée dans le cas où le différend viserait un accord passé avec les États-Unis. Car en refusant de reconnaître son existence, Washington s’arroge de facto le droit de contester le bien fondé des décisions sur lesquelles il serait appelé à trancher.
Exemple : la trêve sino-américaine, déjà sous le feu des critiques car elle violerait les règles de l’OMC en obligeant la Chine à acheter une certaine quantité de produits américains, plutôt que de laisser les forces du marché décider. Faute de poursuivre les États-Unis, l’UE sera-t-elle en mesure de porter plainte contre Pékin ? « Il est trop tôt pour le dire », rétorque la Commission. « Nous marchons sur des œufs », reconnaît, en coulisses, un membre influent de l’exécutif.
Mais si le système doit encore faire ses preuves, « il a le mérite d’exister », tempère-t-on à Bruxelles. Le soutien de seize pays, en plus de celui des Vingt-sept États membres de l’UE, lui donne en outre une légitimité supplémentaire sur la scène commerciale mondiale. C’est aussi un premier pas, espère-t-on, avant la mise en œuvre d’une réforme plus large de l’OMC.
«Afin de consolider le système fondé sur des règles, nous avons besoin d’un arbitre mondial qui permette aux membres de négocier, entre eux, la création de nouvelles règles communes », a indiqué Phil Hogan juste après l’annonce de la décision. Pour le commissaire européen au Commerce, le mécanisme favorisera aussi « un nouvel équilibre des droits et obligations des États membres qui tienne compte de l’émergence économique de nombreux pays en développement ».
A suivre…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles