Dans l’aéronautique, l’export d’armement français devrait passer par une Europe de la défense plus forte. Président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), Eric Trappier (notre photo), qui présentait ses vœux à la presse, le 9 janvier, sait de quoi il parle.
Celui qui pilote Dassault a connu fin 2018 un échec retentissant quand le gouvernement belge a préféré au Rafale le F35 de Lockheed Martin. Aujourd’hui, le constructeur français espère se rattraper avec des appels d’offres qui seront lancés pour une trentaine d’avions en Suisse et 64 appareils en Finlande.
Pour asseoir sa compétitivité, la France est très engagée dans une Europe de la défense renforcée. L’État et les principaux industriels soutiennent ainsi la création d’un fonds européen de défense (Fed) et la réalisation de grands projets communs, comme le drone volant à moyenne altitude et de grande autonomie Male (Medium Altitude and Long Endurance) et l’avion de combat européen ou Système de combat aérien futur (Scaf).
Dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 de l’Union européenne (UE), l’ancienne Commission européenne proposait de doter le Fed d’un montant de 13 milliards d’euros. « Il semblerait que la Finlande, qui assure la présidence actuelle de l’UE, veuille diminuer cette somme. Ce serait de notre point de vue un mauvais signe si le budget n’était pas tenu », commentait Eric Trappier, qui défend « une Europe qui pèse ».
Les difficultés de financement de l’eurodrone
Le président du Gifas et P-dg de Dassault a rappelé que la guerre commerciale « fait rage » entre les États-Unis et la Chine et entre les États-Unis et l’Europe, comme le montre les sanctions dans le dossier Airbus.
Par ailleurs, la « bagarre est réelle » entre Airbus et Boeing. C’est pourquoi, selon lui, « l’Europe doit peser non seulement sur son marché, mais aussi avec des outils stratégiques de défense ». Son intérêt, complétait-il, est « que sa défense se développe ainsi que son autonomie stratégique ».
Le Fed serait un pas vers une Europe de la défense et pourrait notamment être utilisé pour financer le drone Male. Quatre pays sont impliqués : France, Allemagne, Italie, Espagne. Airbus est le maître d’œuvre du projet, deux autres grands acteurs étant l’italien Leonardo et Dassault. L’eurodrone bute aujourd’hui sur son financement, les prix proposés par les industriels étant jugés trop élevés par la Direction générale de l’armement (DGA).
Le Fed pourrait-il favoriser un compromis, alors que chacun s’accorde à reconnaître que cet instrument est essentiel à l’autonomie stratégique de l’Europe ? Les vols d’essais devraient avoir lieu en 2024. Pour l’instant, les industriels ont remis une offre à l’organe exécutif des quatre pays participants, l’Occar (Organe conjoint de coopération en matière d’armement). Les premiers contrats pourraient arriver dès cette année.
Les avancées du projet d’avion du futur
Des maquettes du Male et du Scaf ont été présentés lors du Salon du Bourget sur le stand commun de Dassault et d’Airbus en juin 2019. Pour l’avion de combat du futur, « les pays fondateurs, France et Allemagne, ont été rejoints par l’Espagne, une offre des constructeurs a été remise sur le salon du Bourget et la phase de contractualisation devrait maintenant intervenir dans les jours qui viennent », détaillait Eric Trappier.
Le dirigeant français s’est déclaré « très optimiste sur le démarrage d’un démonstrateur, dans la mesure où la volonté politique est réelle ». En revanche, nuançait-il, « le budget n’est pas encore acquis, car on en est encore au début d’un projet qui va courir sur 20 ans ».
Ce qui importe c’est que les démonstrateurs volent en 2026, ces démonstrateurs devant permettre de lever les risques, et que les industriels de l’aéronautique bénéficient d’un contrat pour opérer. Dans la pratique, Airbus et Dassault travailleraient déjà sur le Scaf et il faudrait y associer l’ensemble de la supply chain des trois pays contributeurs.
Les enjeux de l’Europe de l’espace
Autre sujet d’importance pour le Gifas, l’Europe de l’espace. Bonne nouvelle, le premier lancement d’Ariane 6 est prévu au premier trimestre. La bataille des satellites s’annonce aussi rude et essentielle à l’autonomie stratégique des Européens. Outre les États-Unis, la Chine est de plus en plus active.
Dans l’espace, l’Europe doit aussi assurer son financement. Elle dispose, à cet effet, des budgets de l’Agence spatiale européenne (ESA) et de l’Union européenne. L’engagement de l’ESA dépasse les 14 milliards d’euros, avec une progression de la participation de l’Allemagne supérieure à celle de la France.
Le volet spatial du budget de l’UE, en attendant la fin des discussions entre la Commission et le Parlement européen, devrait tourner autour de 16 milliards d’euros. « Les satellites permettent d’accéder à l’espace, de l’occuper, de communiquer et d’observer, avec notamment un souci de développement durable », insistait Eric Trappier.
La montée des préoccupations environnementales
« L’environnement est un sujet majeur de la profession aujourd’hui », assurait-il. Partisan du Green Deal de la Commission européenne, le Gifas est favorable à l’ambition de l’UE d’une Europe neutre en carbone en 2050.
Néanmoins, un transport européen décarboné, alors que le transport aérien ne cesse de s’envoler, sous-entend des ruptures technologiques dans l’aéronautique. C’est pourquoi le Gifas plaide pour une mobilisation internationale. « La France ne peut pas s’engager seule. Les solutions doivent être trouvées au sein de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) », estimait Eric Trappier.
En attendant, plusieurs ruptures technologiques dans l’aéronautique sont discutées avec l’État et la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), allant du moteur hybride à l’avion à hydrogène.
E. Trappier : « 2019 sera une bonne année »
Bien que le bilan 2019 de la profession ne soit pas encore connu, Eric Trappier a affirmé que « 2019 sera une bonne année pour l’aéronautique, que ce soit en termes de chiffre d’affaires, de prise de commandes, d’emploi, de recherche et de technologie ».
Airbus devrait notamment dépasser les 1 000 commandes d’avions. Le Rafale, bien qu’il ne soit commercialisé qu’au grand export (Égypte, Qatar, Inde), connaît aussi une belle envolée. En 2019, 26 appareils ont été livrés, contre 12 en 2018.
Seuls bémols, l’aviation d’affaires, les hélicoptères et les répercussions pour les sous-traitants de l’arrêt de la production du Boeing 737 Max. « Ce qui s’est passé chez Boeing est un choc pour la supply chain, mais ce n’est pas un choc létal », a précisé Patrick Daher, président du Groupe des équipements aéronautiques et de défense (Gead) du Gifas.
D’après une enquête interne menée par la fédération professionnelle, sur ses 600 PME, la moitié serait impactée pour 1 à 30 % de leur chiffre d’affaires par la crise du constructeur américain, mais seulement une trentaine aurait « des problèmes significatifs ou très significatifs, notamment des fabricants de pièces de moteurs », rapportait Christophe Cador, qui préside la Comité Aero-PME du Gifas.
Les exportations s’envolent toujours
Pour Eric Trappier, l’export est « clé » pour la profession en France. «Les États-Unis disposent d’un grand marché intérieur – et s’ils exportent, c’est autant pour des raisons politiques qu’économiques». Ce n’est pas le cas que la France et, ajoutait le P-dg de Dassault, « le marché européen est insuffisant ».
Malgré les incertitudes liées aux grands chantiers européens et à la compétition internationale, globalement, l’aéronautique française se porte bien.
En 2018, sur un chiffre d’affaires consolidé de 65,4 milliards d’euros, 85 % ont été réalisés à l’export. En 2019, sur les dix premiers mois, d’après les Douanes françaises, les livraisons hors de l’Hexagone se sont élevées à 37,7 milliards d’euros, soit une hausse de 7,82 % par rapport à la période correspondante de 2018. Le poste navigation aérienne et spatiale est ainsi le troisième secteur exportateur de la France, derrière la mécanique (50,3 milliards) et l’automobile (39,5 milliards).
François Pargny