Le Brésil aura besoin des investissements directs étrangers (IDE) pour dynamiser une croissance économique qui demeure molle : + 0,9 % seulement en 2019, selon le Fonds monétaire international (FMI), qui a révisé à la baisse sa prévision pour 2020 de + 2,4 à + 2 %. La croissance de ce géant latino-américain sera donc encore inférieure à la moyenne mondiale (+ 2,9 % en 2020 comme en 2019, selon l’OCDE).
Pour booster le produit intérieur brut (PIB) de ce géant (210 millions d’habitants), son très libéral ministre de l’Économie, Paulo Guedes, proche du président Bolsonaro, a annoncé une politique d’ouverture économique, censée transformer le Brésil en un pays capitaliste. Le but serait ainsi de rompre avec le système rentier du passé et la seule exploitation des matières premières et de promouvoir l’efficacité et l’industrialisation du pays.
Brasilia doit réagir sans tarder. L’année 2018 n’a pas été très favorable aux IDE, puisque, non seulement plusieurs multinationales ont plié bagage (Häagen-Dazs, Walmart, Eli Lilly, Nikon…), mais les IDE on décliné de 12 % à 59 milliards de dollars (Md USD), d’après la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement).
Un programme de privatisations et de concessions
Pour relancer l’activité, Paulo Guedes compte lancer une politique de privatisation.
« Il n’y a pas d’autres solutions raisonnables compte tenu de la dette importante accumulée par les entreprises publiques et aussi pour des raisons d’efficacité », jugeait Marcelo Carvalho, responsable de la Recherche mondiale sur les marchés émergents chez BNP Paribas, lors d’une conférence, organisée par le Cercle France-Amériques, le 2 décembre, sur le thème « Les réformes au Brésil, un an après l’élection de Jair Bolsonaro ».
Une quinzaine d’entreprises serait aujourd’hui concernée, comme le groupe de services postaux Correios et la Codesp, société d’exploitation du port de Santos (le plus important d’Amérique latine), l’électricien Eletrobras ou encore l’imprimeur de billets de banques Casa da Moeda. Au total, le gouvernement espère lever quelque 290 milliards d’euros. Quelque 20 millions d’actions de la banque Banco do Brasil SA pourraient être également cédées.
La privatisation de l’empire Petrobras, à l’origine des scandales ayant éclaboussé les précédents présidents (Luiz Inácio Lula, Dilma Rousseff), est également évoquée avant la fin du mandat de Jair Bolsanaro, c’est-à-dire 2022. Lors de la conférence du 2 décembre, Maxime Rabilloud, General Counsel de Total Exploration & Production (E & P), ne s’est pas prononcé sur cette éventualité.
En revanche, cet ancien patron de la filiale Total E & P Do Brasil a rappelé que Petrobras avait déjà vendu de nombreux actifs, notamment dans les infrastructures, comme Petrobras Distribuidora et les réseaux de gazoducs NTS et TAG, ce dernier au profit du français Engie et du fonds canadien CDPQ. « Le coup d’accélérateur donné par le gouvernement va, d’une part, permettre à Petrobras de commencer à se désendetter et, d’autre part, de fluidifier le marché du gaz », se félicitait-il.
Parallèlement aux privatisations, Paulo Guedes a lancé une politique de concessions.
Certes, reconnaissait Maxime Rabilloud, la dernière enchère pétrolière a été un peu décevante. « Le volume de ressources proposées était considérable, cet appel d’offres arrivait après toute série d’autres enchères et les conditions offertes étaient un peu complexes, mais je ne serais pas surpris que dans les mois à venir de nouvelles conditions soient proposées », soulignait-il. Un optimisme qui proviendrait de l’expérience très positive de ces 12 à 18 derniers mois, au cours desquels, selon lui, une dizaine de milliards de dollars de concessions auraient été signés.
Le frein de la corruption et la criminalité
Pour Alfredo Valladao, professeur à Sciences Po Paris, « la véritable question qu’il faut se poser n’est pas tant quoi, mais comment on va privatiser ».
Les grandes infrastructures, comme les autoroutes, les chemins fer, les ports « tombent en ruines », au point qu’un sac de soja sortant à un prix X d’une ferme est multiplié par cinq quand il arrive sur un bateau au départ pour la Chine.
Un modèle à retenir serait celui des partenariats privé-public (PPP), mais il se heurte à une certaine résistance des Brésiliens, qui ont l’impression « que l’on donne tout aux étrangers », selon Alfredo Valladao.
« Ce qui me fait peur, c’est le volume des privatisations, avouait, pour sa part, Jean Veillon, président du conseil de surveillance d’Efeso Consulting. Selon ce consultant opérant au Brésil, « les sommes en cause seront gigantesques, ce qui suscitera forcément des envies. Et donc la façon dont se feront les privatisations sera primordiale ».
Sans la citer, Jean Veillon faisait ainsi allusion à la corruption, « un phénomène ancien, systémique », rappelait Alfredo Valladao. L’opération Lava Jato [Lavage Express, après le déclenchement du scandale Petrobras, NDLR] se serait, néanmoins, « attaquée à l’impunité » et aurait « touché tout le monde et pas seulement la gauche ».
D’après l’ambassadeur du Brésil en France, Luis Fernando Serra, « le gouvernement s’est attaqué aux trois C : chômage, corruption, criminalité ». Et le nombre d’homicides, notamment, aurait ainsi diminué.
Certains analystes estiment que le coût de la criminalité au Brésil représenterait entre 4,5 et 5,9 % du PIB. Le problème, selon Alfredo Valladao, est celui de la police militaire. « Elle est sous la responsabilité des gouverneurs des États et cette police de proximité tombe facilement dans la corruption ». C’est pourquoi une réforme de la sécurité intérieure est indispensable. La criminalité aurait diminué de 20 %, mais il faudrait la baisser d’au moins 90 % pour que chaque citoyen se sente en sécurité.
La recherche obligatoire de coalitions politiques
Aux challenges économiques de Paulo Guedes, s’ajoute pour l’équipe de Jair Bolsonaro un défi politique. Dans une Chambre des députés très fragmentée – une dizaine de partis compte plus de 30 représentants chacun – le Parti social-libéral (PSL), dont le président était le candidat, est le deuxième en nombre (52 députés), n’occupant ainsi que 10 % des sièges, derrière le Parti des travailleurs (PT) de l’ex-chef d’État Lula (11 %, 56 députés).
Pour chaque vote, le gouvernement va devoir trouver une coalition. Un homme incontournable sera, dans ce contexte, le président de la Chambre des députés, Rodrigo Mai. « C’est lui qui va négocier et ce sera d’autant plus compliqué pour le gouvernement qu’il y a énormément de lobbies », insistait Alfredo Valladao.
Ainsi, si dans la foulée de la victoire présidentielle, la nouvelle équipe au pouvoir a pu faire passer une réforme des retraites clé, Rodrigo Maia est déjà parvenu à se placer au centre de l’échiquier politique. Au point que chacun s’interroge sur la capacité de Paulo Guedes à mener les réformes fiscale et administrative qu’il a promises dans le futur.
La réforme des retraites été le fruit d’un intense travail de réflexion et de négociations avec le Congrès. Les nouvelles mesures vont permettre à l’État d’économiser 176 Md EUR sur cinq ans, alors que le déficit budgétaire dépasse 90 % du PIB, d’après le FMI. De façon concrète, l’âge de la retraite a été reculé de cinq ans et est ainsi porté à 65 ans pour les hommes et 62 pour les femmes.
Quant à la réforme fiscale, elle vise à simplifier un système d’imposition, souvent qualifié de kafkaïen. A la réduction du nombre d’impôts, s’ajouteraient une baisse du taux d’imposition des bénéfices des sociétés, une taxation des dividendes, voire une modification des tranches de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
Enfin, la réforme administrative prévoit un nouveau statut des fonctionnaires publics, avec, comme mesures majeures, la fin de l’emploi à vie et la mise en place d’une période d’essai de trois ans. En janvier dernier, Jair Bolsonaro annonçait un « nettoyage » des contractuels dans l’administration pour débarrasser le Brésil « des idéologies socialiste et communiste ». Un objectif qui pourrait se révéler plus compliqué que prévu.
François Pargny