Le projet est pharaonique. À Skolkovo, à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Moscou, les autorités russes prévoient de construire d’ici à 2015 une ville dédiée à l’innovation sur plus de 200 hectares, regroupant universités, instituts de recherche et entreprises.
Annoncé par le président russe Dmitri Medvedev en février 2010, le projet, qualifié de « future Silicon Valley russe », a pour ambition de développer des projets innovants dans cinq domaines : l’énergie (en particulier les énergies renouvelables), les technologies de l’information, les biotechnologies, l’aéronautique (télécommunications et systèmes de navigation) et le nucléaire. Autant de sujets de recherche qui devront aboutir à des applications commerciales. Car si la Russie veut à l’évidence redorer son blason scientifique, le but ultime est de se servir de l’innovation comme levier économique. Et, donc, de ne pas retomber dans le travers de la R&D soviétique qui dissociait recherche fondamentale et recherche appliquée.
La modernisation est, depuis quelques mois, le maître mot des autorités russes. Si son application à la politique laisse nombre d’observateurs perplexes, sur le plan économique, l’État a décidé de débloquer d’importants moyens financiers, comme c’est le cas pour Skolkovo. Le budget de déploiement du projet jusqu’en 2013 est annoncé à 750 millions d’euros, dont 256 millions seront utilisés en 2011 : 220 millions serviront au fonds de soutien pour les start-up désirant s’implanter sur place et 36 millions aux infrastructures. La Fondation Skolkovo, chargée de la mise en œuvre du projet et présidée par le milliardaire Viktor Vekselberg, prévoit un coût total de 2,7 milliards d’euros.
Mais suffit-il d’y mettre les moyens pour faire de cette banlieue de Moscou l’équivalent de la Silicon Valley californienne ? Jean-Louis Truel, vice-président du Cercle Kondratieff et directeur de la société International Business Devlopment, en doute. « Skolkovo sera une vitrine qui n’irriguera pas l’économie du pays, car les Russes voient la modernisation de façon réduite : ils ne prennent pas assez en compte les infrastructures générales et les financements », a-t-il estimé lors d’un séminaire organisé par le Cercle en février dernier.
Des groupes étrangers ont néanmoins déjà montré leur intérêt pour Skolkovo : Cisco, Boeing, Siemens, Tata… En novembre 2010, le géant américain de l’informatique Microsoft a signé un protocole d’accord pour l’implantation d’un centre de R&D. Des négociations sont en cours avec Novartis, Google, Johnson&Johnson, Kodak, John Deer ou encore Dow Chemicals. Les Français sont également très présents.
Reste à savoir si Skolkovo saura attirer la fine fleur mondiale des chercheurs. Là encore, Jean-Louis Truel se montre sceptique : « Il n’y pas de dynamique de coopération internationale. Un exemple : les clusters russes cherchent des partenariats avec des chercheurs français. C’est très bien, mais ils ne fournissent pas
d’articles scientifiques en anglais ! »
L’époque à laquelle l’Union soviétique était à la pointe de la recherche, dans des secteurs stratégiques comme l’aéronautique ou l’armement, semble révolu. Et le retard accumulé par la science soviétique puis russe, dans le processus d’applications concrètes et commercialisables, apparaît difficile à combler.
En octobre 2010, André Geim, colauréat du prix Nobel de physique pour sa découverte du graphène, citoyen néerlandais travaillant à l’université britannique de Manchester, après avoir quitté l’URSS en 1990, a décliné l’invitation à venir poursuivre ses recherches à Skolkovo. « Rien n’empêche d’amener la Russie au niveau scientifique mondial. Si on met 2 % ou 3 % du budget national dans la science, dans 50 ans elle sera au niveau requis », a-t-il estimé.
Sophie Creusillet
La présence française à Skolkovo
L’Arep, filiale de la SNCF, a remporté, le 25 février, l’appel d’offres pour la conception de la ville de l’innovation de Skolkovo. Par ailleurs, deux accords ont été signés le 2 mars dernier par la Fondation Skolkovo et deux grandes entreprises françaises, Alstom et EADS. Asltom participera à la construction des principales infrastructures (transport urbain, production d’électricité et service de gestion de l’énergie) et apportera son expertise en R&D au sein des activités créées sur place. EADS construira un centre de recherche spécialisé dans les technologies aéronautiques et spatiales, incluant les télécommunications, la navigation, les technologies éco-énergétiques et les technologies de l’information.
S. C.