Pour l’export français, 2019 et 2020 ne seront pas aussi favorables que 2018. Pour autant, les exportateurs français tirent leur épingle du jeu : ils devraient gagner 16 milliards d’euros cette année, et 10 milliards supplémentaires en 2020, selon Euler Hermes, qui présentait son dernier EH Global Trade Report, le 20 novembre.
Certes, on est loin du score des 18 milliards de 2018, mais, compte tenu de l’environnement international, marqué par un fort protectionnisme (1 290 mesures en 2019, niveau équivalent à 2018) et la guerre commerciale Chine-États-Unis, ce « léger recul » est qualifié de « modéré » par l’assureur-crédit, du moins pour l’année 2019.
+ 10 milliards au grand export, + 6 milliards dans l’UE
Le grand export sera le plus porteur, avec 10 milliards d’euros. L’Union européenne (UE) apportera 6 milliards, malgré le Brexit et « la crise » de l’Allemagne, dont « la croissance économique devrait être limitée à + 0,6 % en 2019 », annonce Euler Hermes (EH).
« Outre-manche, des phénomènes de surstockage ont bénéficié à la France », a remarqué Alexis Garatti, chef de la Recherche économique chez EH, lors de la présentation. De fait, d’après les Douanes françaises, les ventes tricolores de biens au Royaume-Uni ont gagné 6,53 % pendant les neuf premiers mois de 2019 par rapport à la période correspondante de 2018, dépassant ainsi pour la première fois la barre des 25 milliards d’euros (25,2 milliards exactement).
Si la crise allemande a pesé, les pertes pour la France s’annoncent modérées. A 52,3 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de l’année à fin septembre, ses livraisons vers son premier client extérieur n’ont reculé que de 1,19 % par rapport à janvier-septembre 2018. Stable sur l’Espagne et les Pays-Bas, elle a aussi accru ses livraisons en Italie, en Belgique, en Pologne et surtout au Portugal (41 %), et, dans ce dernier pays, grâce au poste navigation aérienne et spatiale (+ 1 487 %).
La France, gagnante de la guerre commerciale
Dernier élément à prendre en compte, le bras de fer commercial entre Washington et Pékin, dont certains exportateurs tricolores ont profité.
« Depuis le début de l’année, les entreprises françaises se sont substituées aux entreprises chinoises comme fournisseurs des entreprises américaines à hauteur de 3,8 milliards d’euros, et, en parallèle, elles ont capté 1,4 milliard de débouchés chinois », a noté Georges Dib. Selon cet économiste d’EH, spécialisé sur l’Amérique latine et la péninsule ibérique, ces mouvements s’expliqueraient « en grande partie par la performance du secteur aéronautique ».
En fait, de janvier à septembre 2019 par rapport à la période correspondante de 2018, les livraisons françaises en Chine ont progressé de 7,3 % à 14,94 milliards d’euros. Une performance, d’après les chiffres des Douanes, qui doit plus pour le moment à la pharmacie (+32 %) et la parfumerie (+ 52,63 %) qu’à l’aéronautique (+3,2 %).
Les exportations de l’Hexagone aux États-Unis ont, quant à elles, augmenté de 4,7 milliards d’euros pour atteindre 32,1 milliards d’euros, d’après les Douanes françaises. Tous les grands secteurs étaient en hausse, notamment la mécanique (+ 48,32 %), l’aéronautique (+ 35,79 %), la pharmacie (+ 21,59 %), les boissons (+ 20,82 %).
La France est loin d’avoir été le seul pays à profiter du détournement de trafic vers les États-Unis. Les plus agiles ont été le Vietnam, les Pays-Bas et Taïwan. « Avec des risques. A force d’être visibles, vous êtes sanctionnés. Et c’est ce qui est arrivé au Vietnam, quand l’Administration Trump a constaté que le surplus de ce pays avait augmenté de 38 % », a pointé Georges Dib. Réagissant alors, Washington a installé un droit de douane de 400 % sur l’acier vietnamien.
La poussée de protectionnisme américain
Les États-Unis ont jusqu’à présent cette faculté quasiment unique à ce niveau à associer protectionnisme et compétitivité. De fait, la patrie de Donald Trump est la seule à avoir multiplié les mesures protectionnistes à une si grande échelle : 790 depuis 2008. Le plus proche, l’Inde, n’en a émis que 566. La France 262 et la Chine 256.
Quant à la compétitivité, aux États-Unis, le taux de change réel effectif (en anglais, Real Effective Exchange Rate/REER), utilisé traditionnellement comme indice de compétitivité, a augmenté de 6 % depuis décembre 2017. En comparaison, le REER est en retrait de 1 % en Chine comme en France. Pourtant, les États-Unis seraient plus sensibles au marché. La balance commerciale contribue à 32 % du produit intérieur brut (PIB) en Chine, alors que son apport au PIB est négatif de 3 % aux États-Unis – il est aussi négatif en France de – 2 %.
C’est pourquoi les États-Unis n’ont sans doute pas hésité à s’attaquer à la Chine. Cette dernière a beaucoup plus à perdre, le pays de l’Oncle Sam étant son premier débouché extérieur. Le protectionnisme n’empêche pas la première puissance mondiale d’afficher des déficits commerciaux records tous les ans. Depuis son élection, Donald Trump a fait des droits de douane son arme commerciale privilégiée. De 3 % avant son investiture, le droit de douane moyen américain est passé entre 8 et 9 %.
Le combat des États-Unis contre l’UE
Dernièrement, la Maison Blanche s’est emparée de la condamnation des subventions à Airbus par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour imposer à l’UE de nouvelles taxes.
Après le Royaume-Uni (- 1,3 milliard d’euros), la France sera la plus touchée, avec un manque à gagner de 1 milliard, frappant principalement le vin et l’aéronautique. Les pertes seraient moindres pour l’Allemagne et l’Espagne (0,8 milliard et 0,4 milliard d’euros respectivement).
Même si l’incertitude règne – y compris sur un accord commercial entre Washington et Pékin que l’on attend, alors que se profilent les élections présidentielles américaines – les États-Unis pourraient s’attaquer à l’UE en 2020. Cette fois, ce serait l’automobile du Vieux continent qui serait visée. Et cette fois, ce serait l’Allemagne la plus concernée.
D’après les projections d’Euler Hermes, les pertes à l’export se monteraient à 1,8 milliard d’euros par an pour l’Allemagne si Washington appliquait une taxe supplémentaire de 10 % et 3,8 milliards si ce taux passait à 25 %.
En comparaison, elles seraient relativement faibles pour la France, en fait minimes dans le premier cas et de 100 millions dans le second scénario. Autres États impactés, le Royaume-Uni (respectivement, – 0,8 milliard et – 1,6 milliard d’euros), l’Italie (- 0,4 milliard, – 0,9 milliard d’euros) ou encore la Slovaquie (- 0,2 et – 0,5 milliard d’euros).
France : 10 milliards d’euros d’export à gagner en 2020
Au final, EH estime que 2020 sera « moins porteuse » pour les exportateurs français, « avec une demande externe additionnelle à saisir de seulement 10 milliards d’euros ». L’assureur crédit justifie sa prévision par le poids des taxes américaines, l’effet Brexit et la faible croissance de l’activité dans la zone euro.
Une autre incertitude provient des grandes entreprises françaises, qui se sont endettées pour poursuivre leur politique de diversification et d’internationalisation ces dernières années. Au deuxième trimestre, la Banque de France révélait que la dette des sociétés non financières représentait 73,5 % du produit intérieur brut (PIB).
« On peut s’attendre raisonnablement à une poursuite de l’endettement », a jugé Alexis Garatti, selon lequel « les flux de capitaux en direction des obligations d’entreprises plus ou moins risquées ont repris de plus belle dans un contexte de taux bas ». En outre, il y aurait « un certain réveil de l’appétit pour le risque qui a accompagné une atténuation des tensions sino-américaines ».
Reste à espérer que les grandes entreprises françaises aient fait les bons choix à l’international.
François Pargny