Le commerce mondial de biens et services est entré en 2019 « dans un cycle de croissance basse ». Dans son dernier EH Global Trade Report, présenté à la presse le 20 novembre, Euler Hermes (EH) pointe ainsi la montée des droits de douane et surtout les incertitudes commerciales, liées au conflit entre Pékin et Washington, qui plombent la croissance des échanges internationaux.
Après une croissance + 3,8 % en 2018, la progression des échanges mondiaux ne dépassera pas + 1,5 % cette année et + 1,7 % en 2020. L’incertitude depuis l’élection de Donald Trump ne va pas disparaître et les investissements vont fléchir aux États-Unis sur fond d’attentisme lié à la prochaine élection présidentielle américaine, prévue le 3 novembre 2020.
Comme attendu, la croissance économique mondiale, qui était de 3,1 % il y a un an, va ainsi tomber à 2,5 % en 2019 et Euler Hermes prévoit + 2,4 % en 2020.
Incertitude au sujet du « mini-deal » Chine-États-Unis
S’ajoutent à ces incertitudes la situation à Hong Kong. Après la Chambre des représentants, le Sénat américain vient d’adopter un texte destiné à protéger les droits humains dans l’ancienne colonie britannique, provoquant ainsi la colère de la Chine.
Depuis deux mois, les marchés financiers et les acteurs économiques pariaient sur la conclusion d’un « mini-deal » devant apaiser les relations entre Pékin et Washington. « La confiance était revenue, le soulagement était palpable, des signes positifs étaient perceptibles », selon Georges Dib, économiste en charge de l’Amérique latine et la péninsule ibérique chez Euler Hermes.
Pour ce spécialiste de l’assureur-crédit, il va falloir « s’habituer à la volatilité économique et au fait qu’on n’est jamais sûr de rien ». Pour autant, Georges Dib ne s’attend pas « à une augmentation significative des droits de douane américains, car, au point où en sont les deux parties dans leurs sanctions réciproques, ce serait les consommateurs américains qui seraient alors touchés pour des produits aussi divers que l’électroménager et les jouets ».
En outre, le droit de douane moyen outre-Atlantique a déjà fortement augmenté. Il était de 3,5 % avant l’investiture de Donald Trump et oscille maintenant « entre 8 et 9 % », selon Alexis Garatti, chef de la Recherche économique chez Euler Hermes.
Les économies ouvertes les plus pénalisées
Le ralentissement de la croissance du commerce mondial a déjà fortement marqué les économies les plus ouvertes, comme l’Allemagne, qui devrait se contenter d’une petite croissance de 0,6 % de son économie cette année, et les hubs commerciaux en Asie : Corée du Sud, Japon, Singapour, Hong Kong.
La contraction du commerce de biens et services s’est traduite physiquement par une chute des exportations de 420 milliards de dollars en 2019, dont 67 milliards pour la Chine, 62 milliards l’Allemagne et 50 milliards Hong Kong. Certains secteurs ont particulièrement souffert : électronique, – 212 milliards ; métaux, – 186 milliards ; et énergie, moins 183 milliards de dollars…
Les secteurs perdants et gagnants en 2020
Les exportations dans l’électronique devraient encore perdre 47 milliards de dollars en 2020. Ce secteur subit un choc spécifique, lié à la reconstitution de la chaîne de valeur internationale.
Dans ce domaine, les compagnies asiatiques ont anticipé les bouleversements à venir. « Le problème de Huawei, c’est qu’il est trop chinois, et donc ce n’est pas viable à long terme », a expliqué Alexis Garatti. En revanche, dans l’électronique, « pour ne pas être identifiés chinois », les champions de Chine ont créé des joint-ventures. Ils ont ainsi « dilué leur identité », mais ce mouvement, selon Alexis Garatti, a un impact sur la chaîne de valeur qui n’est pas encore terminé.
Comme en 2019, les exportations de métaux vont aussi baisser l’an prochain (- 42 milliards de dollars), tout comme les machines et équipements (- 27 milliards).
Parmi ses secteurs gagnants, on comptera, grâce à la croissance économique chinoise, les logiciels et services IT, mais aussi l’agroalimentaire et les produits chimiques.
Les pays gagnants en 2020
S’agissant des pays gagnants en 2020, la Chine et les États-Unis arriveraient en tête, avec respectivement + 90 milliards et + 87 milliards de dollars.
Mais, attention préviennent les experts d’Euler Hermes, les gains à l’export l’an prochain ne représenteront que la moitié de ceux de 2018. Donc pas d’optimisme excessif. Surtout que dans le « mini-deal », s’il était signé, il n’est pas prévu d’inclure les questions les plus fondamentales, comme la propriété intellectuelle et l’essor de Huawei.
En outre, surgit une autre inquiétude. Car si l’accord est paraphé, les États-Unis pourrait se tourner contre l’Union européenne (UE), comme ils l’on fait récemment, après le feu vert de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le cadre du différents relatif aux subventions d’ Airbus.
L’automobile européenne serait alors visée, même si pour le moment Donald Trump a reporté sa décision. L’automobile subit aujourd’hui un choc spécifique dans le monde, comme l’électronique, avec, notamment, une composante environnementale aujourd’hui omniprésente.
L’Allemagne, la première industrie visée par les États-Unis, a pris un double tournant. D’abord, en se réorganisant régionalement. L’impact à court terme va être négatif, mais l’automobile allemande restera en Europe de l’Est. Ensuite, les constructeurs allemands ont commencé à négocier avec l’Administration Trump pour investir aux États-Unis.
Reste que les Allemands et les Britanniques seraient les plus impactés par des hausses de droits de douane sur les voitures européennes. Selon Euler Hermes, les pertes d’exportation se monteraient pour l’UE à 4 milliards d’euros par an en cas de droit de douane à 10 % et à 12,5 milliards si le taux atteint 25 %.
Le cas de l’automobile pose clairement la question de la localisation des sites de production dans le monde. Alors que l’on pourrait penser en toute logique que les entreprises rapprochent leurs usines des lieux de consommation, cette idée serait balayée dans un environnement commercial de plus en plus tendu. Ainsi, la référence ne serait plus le marché, mais le rapport de force. Et, à ce petit jeu, les Américains et les Chinois pourraient être les plus forts, attirant à eux les investissement productifs.
Un niveau élevé de défaillances d’entreprises
Un dernier élément à prendre en compte pour essayer d’anticiper la conjoncture morose qui est en train de s’installer, est « la détérioration du crédit, qui contribue aux incertitudes et pèse sur la croissance du commerce », selon Alexis Garatti.
En dépit de l’assouplissement monétaire mis en place dans les grands pays, le commerce international souffre et s’y ajoute la détérioration de l’investissement. Il y a encore une accumulation de la dette au niveau mondial : rien que l’endettement des entreprises des États-Unis représente 70 % du PIB du pays.
Les défaillances d’entreprises seraient en hausse de 8 % en 2019 et 2020. « Trop d’acteurs, s’illusionnant sur la demande mondiale, se sont endettés sur des bases optimistes », constatait Alexis Garatti. Dans l’Hexagone, la hausse de la dette serait le fait des grandes entreprises, « qui se sont diversifiées et internationalisées à marche forcée ». La question à se poser serait alors : « ont-elles fait le bon pari sur l’évolution de leur environnement et des marchés internationaux ? ».
Toujours est-il que l’optimisme des sociétés françaises se serait traduit par des investissements directs étrangers (IDE) conséquents, ce qui aurait favorisé l’équilibre de la balance des paiements courants de la France. Jusqu’à présent. Car il n’en serait plus de même si les IDE diminuaient dans le futur.
François Pargny