Le nouvel accord du Brexit ? Un mécanisme complexe « pour faire rentrer le rond dans le carré », selon la formule utilisée par Michel Barnier, le Monsieur Brexit de la Commission européenne. Une bonne façon de résumer la solution trouvée par les négociateurs jeudi 18 octobre, à l’issue de longues heures de discussions, pour résoudre l’épineuse question irlandaise, principal point d’achoppement entre Londres et Bruxelles depuis le lancement de ces pourparlers.
Tant décrié outre-Manche, le fameux Backstop – qui maintenait le Royaume-Uni dans un territoire douanier avec l’Union européenne (UE) – a finalement été abandonné. La solution retenue vise toutefois les mêmes objectifs : éviter le retour d’une frontière physique entre les deux Irlande tout en préservant l’intégrité du marché unique européen.
Elle fait de l’Irlande du nord, par la même occasion, une zone économique très spéciale, pour reprendre l’expression d’une source diplomatique à Paris.
Formellement, l’accord de retrait lui-même, qui organise un Brexit ordonné dans tous les domaines, déjà négocié par Theresa May, prédécesseure de Boris Johnson, n’a pas été modifié. C’est le protocole sur l’Irlande du nord, qui figure en annexe, qui a été renégocié par le Premier ministre britannique, ainsi que certains points du contenu de la déclaration politique pour les relations futures.
Retour sur les quatre piliers du nouvel accord de retrait.
Pilier 1 : l’Irlande du nord reste dans l’union douanière britannique
Province du Royaume-Uni, l’Irlande du Nord « restera partie intégrante du territoire douanier britannique et bénéficiera donc des prochains accords commerciaux », scellés à Londres, a détaillé Michel Barnier lors de sa conférence de presse, organisée en toute hâte, après l’annonce d’un accord le 17 octobre. Le régime douanier qui s’appliquera dès lors dépendra de la destination des marchandises.
Si des produits en provenance de pays tiers entrent en Irlande du Nord et qu’ils ont vocation à y rester, les droits de douane britanniques s’appliqueront. « A condition que ces biens ne risquent pas de se retrouver sur le marché intérieur », a averti le négociateur européen.
En revanche, si ces marchandises sont destinées à entrer dans l’UE, via l’Irlande du Nord, alors les autorités britanniques « seront chargées d’appliquer le code douanier européen », a-t-il ensuite précisé.
Faute d’appartenir à l’Union douanière de l’UE, l’Irlande du Nord restera cependant alignée sur un ensemble limité de règles de l’UE, notamment celles concernant les marchandises, les règles sanitaires pour les contrôles vétérinaires (réglementation dite « SPS), celles sur la production et la commercialisation des produits agricoles, la TVA et les accises sur les marchandises, et enfin le régime des aides d’État. Ceci pour éviter les risques de dumping.
Pilier 2 : l’assemblée nord irlandaise consultée
L’accord prévoit de donner, aux représentants de la province britannique, une voix décisive sur l’application à long terme de la législation européenne sur ce territoire.
Ce mécanisme dit de « consentement » concernera l’application des règles du marché unique européen de l’électricité, des règles communautaires sur les aides d’Etat, les règles sanitaires pour les contrôles vétérinaires ou encore pour les produits agricoles.
Quatre ans après la fin de la période de transition – fixée au 31 décembre 2020 mais susceptible d’être prolongée de deux ans maximum – l’assemblée d’Irlande du Nord (dite de Stormont), pourra, à la majorité simple, donner son feu vert au maintien de l’application du droit de l’UE ou voter pour son abandon.
Dans ce dernier cas, le protocole cessera d’être applicable deux ans plus tard.
Pilier 3 : même TVA dans les deux Irlande
La TVA a été un point qui a été particulièrement difficile lors des dernières heures de négociation. Or, c’est « un sujet important destiné à éviter toute distorsion de concurrence sur le marché des biens », a expliqué Michel Barnier.
Objectif : éviter des taux de TVA différenciés sur les produits de première nécessité dans la province britannique d’Irlande du Nord et la République d’Irlande, qui pourraient faciliter le trafic illicite des marchandises au sein de l’île.
Ainsi, pour répondre à la double exigence des Européens – éviter le retour d’une frontière en dur en Irlande et préserver l’intégrité du marché intérieur – les règles de l’UE concernant la TVA sur les marchandises continueront de s’appliquer en Irlande du Nord. Et c’est le service des douanes britanniques qui sera chargé de l’application et de la collecte de ces taxes.
Pilier 4 : les bases de la relation future, un accord de libre-échange
Outre l’annexe concernant l’Irlande, la déclaration politique qui accompagne l’accord de retrait et jette les bases de la relation future entre Londres et Bruxelles, a elle aussi été modifiée.
« Sur ce point, le gouvernement de Boris Johnson a fait un choix clair, a insisté le négociateur en chef côté européen. C’est le choix d’un accord de libre-échange. Toute référence à d’autres options, notamment celle de créer entre nous un territoire douanier unique, a été éliminée ».
Pendant la période de transition – qui durera jusqu’à fin 2020 ou au plus tard fin 2022, en cas de prolongation – le Royaume-Uni restera toutefois membre de l’Union douanière européenne et du marché intérieur de l’UE, le temps de conclure les négociations sur le futur pacte commercial entre les deux parties.
Ce futur traité devra être « ambitieux, ce qui veut dire sans tarifs ni quotas », a commenté Michel Barnier. Mais, en contrepartie, Bruxelles exigera des garanties de la part de Londres afin de mettre en place des conditions de concurrence équitables, allusion aux risques de dumping social, fiscal ou environnemental qui pourraient tenter Londres. Une façon de poser une limite aux ambitions dé-régulatrices du gouvernement conservateur à Londres et d’éviter la création d’une sorte de « Singapour » aux portes de l’Union.
Commentaire d’une source diplomatique à Paris : l’enjeu de ces négociations futures sera donc de trouver un équilibre entre les demandes britanniques pour un maximum d’ouverture du marché européen et les exigences européennes d’un respect des normes et réglementations en vigueur sur le marché unique, gage d’une concurrence loyale vis-à-vis de ses entreprises. « Des droits de douane à taux 0 supposeront un alignement complet des Britanniques sur les réglementations européennes ».
En attente du feu vert du… Parlement britannique
Alors que Boris Johnson espérait faire adopter l’accord de sortie le 19 octobre dernier à la Chambre des communes, les députés britannique ont donc reporté leur décision et obligé ainsi le Premier ministre à demander à Bruxelles une prolongation de trois mois, qu’il espère encore éviter. De quoi maintenir le suspense et l’incertitude.
Dans le camp des Européens, toutefois, le processus de ratification se poursuit. «Le Parlement britannique n’a pas rejeté l’accord donc il n’y a pas lieu de changer de cap. Les procédures sont engagées côté européen pour que l’UE ratifie le traité, pour que le Parlement européen soit saisi et donne son approbation», précise une source diplomatique à Bruxelles.
Au delà du problème irlandais et de la déclaration politique en annexe, les 600 pages de l’accord de retrait scellé en novembre 2018 par Theresa May demeurent inchangés. Outre les modifications apportées la semaine passée, le texte vise essentiellement à garantir le respect du droit des citoyens directement touchés par le Brexit – les Européens résidant en Grande-Bretagne ainsi que les Britanniques installés dans un Etat membre de l’UE – et à solder les comptes de l’UE avec son partenaire d’hier.
Selon Michel Barnier, les porteurs de projet verront eux aussi leur situation sécurisée « puisque grâce à cet accord, les engagements financiers, déjà pris à Vingt-huit, seront bien honorés à Vingt-huit ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
(Avec le desk Moci à Paris pour certains détails)