Ras Al Khaimah, un des sept membres des Émirats Arabes Unis, se développe discrètement, loin des excès des « bulles ». À une heure d’autoroute de Dubaï, l’émirat suscite un intérêt grandissant auprès des sociétés étrangères. Suivez le guide.
A l’heure où le monde arabe connaît des chamboulements, un pays au cœur d’une zone stratégique regarde pourtant son avenir avec sérénité. Malgré les crises, financières et politiques, les Émirats Arabes Unis ont continué ces dernières années à attirer les entreprises et développer leurs projets d’infrastructures.
Business as usual ? C’est ce que les autorités économiques de Ras Al Khaimah affirment. Situé à une heure à peine de Dubaï, ce petit émirat de 240 000 habitants est l’un des sept qui composent la fédération des Émirats Arabes Unis. Il est situé à la pointe nord du pays, la « tête de la tente », comme son nom l’indique en arabe. On est là au plus près du détroit d’Ormuz, où passe l’essentiel du trafic commercial du Moyen-Orient avec l’Asie et l’Afrique.
Fort de sa position géographique, l’émirat de Ras Al Khaimah a développé au fil des siècles une tradition commerciale qui s’est d’abord appuyée sur une flotte importante de dhows (bateaux traditionnels à voile). La tradition a perduré et si, lors de la crise financière, Ras Al Khaimah n’a pas fait les gros titres des journaux à l’instar de Dubaï, c’est aussi parce qu’il n’en a pas suivi tous les excès.
L’émirat n’a pas été épargné par la bulle immobilière, mais des milliers de logements ont été livrés pour répondre à des besoins réels, nés des effets d’une stratégie de développement industriel qui commence à porter ses fruits. Il ne s’est pas surendetté et sa stabilité financière lui vaut même un rating de AA par l’agence de notation Standard & Poor’s.
Cette gestion prudente s’ajoute au fait que Ras Al Khaimah, qui n’est pas doté des ressources pétrolières d’Abou Dhabi, bénéficie de la protection financière de ce dernier. En mars dernier, pas moins de 5,7 milliards de dirhams émiriens (AED – environ 1,44 milliard d’euros) ont ainsi été débloqués par le pays pour développer les infrastructures des émirats du Nord. Une aubaine pour les autorités locales, dont la stratégie de diversification porte ses fruits. L’émirat a battu le record de croissance de la fédération plusieurs années d’affilée : +14 % durant quatre ans, avant la crise, 9 % en 2009 et, enfin, 8 % en 2010.
Dans le contexte actuel, on pourrait imaginer pire. D’autant que sa stabilité semble assurée au plan politique. Sheikh Saud bin Saqr al Qassimi, un cinquantenaire formé aux États-Unis et de culture citadine, vient de prendre la succession effective de son père après son décès, l’an dernier.
Avant même son accès au pouvoir, c’est sous son égide, comme prince héritier, que la partie ouest de la capitale du même nom s’était métamorphosée. C’est là, dans un quartier appelé « l’île d’Al Hamra », que se retrouvent la plupart des expatriés venus habiter les nouveaux ensembles immobiliers en bord de mer. Un shopping mall avec des boutiques de luxe, un port de plaisance, des hôtels 5 étoiles et un golfe de 18 trous complètent le paysage. À Al Hamra, de l’autre côté de la route principale, s’étendent les zones industrielles et zones franches les plus récentes de l’émirat, gérées par l’Autorité des investissements de Ras Al Khaimah, RAKIA.
Car le tourisme décolle, mais c’est sur l’industrie que l’émirat mise depuis plusieurs années. Celle-ci représente aujourd’hui près d’un quart de son PIB. Il a du calcaire et de l’argile, qui ont permis le lancement des premières industries, ciment et, surtout, céramique. « Créée en 2005, RAKIA a réussi en quelques années à attirer plus de 3 milliards de dollars d’investissements », rapporte Alex Thomas, le directeur général de RAKIA. « Nous fournissons les infrastructures (routes, éclairage, gaz, etc.) et les entreprises se chargent de construire leurs usines, explique-t-il. Notre zone franche n’est pas différente de celle de Dubaï, mais elle est moins chère. »
Le nombre de licences a augmenté en 2010 de 27 % et RAKIA espère atteindre 5 milliards de dollars
d’investissements industriels d’ici deux ans. De grands noms ont déjà franchi le pas, comme le français Arc International, le suisse Ginox, Guardian Industries, Mitsui Japan, l’allemand Kludi ou encore Ashok Leyland. C’est dans cet émirat également que l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a choisi d’ouvrir son premier campus à l’étranger.
Restent des handicaps, notamment les pénuries d’électricité. Elles connaissent un début de solution avec la livraison par RAKIA de deux centrales à gaz de 45 et 85 MW, les projets fédéraux en cours et, en 2017, la mise en place prévue de la première centrale nucléaire.
« Il faut bien comprendre pourquoi on vient s’installer à Ras Al Khaimah, explique Patrick Sulzer, qui a monté un chantier naval de yachts avant de changer de voie. Si c’est pour des raisons fiscales, c’est très intéressant. Pour le faible coût de production, cela a également beaucoup de sens, d’autant qu’avec la situation géopolitique, c’est vraiment le pays le plus stable et le plus lucratif. » Pour une activité de commercialisation dans la région, ce Suisse prévient en revanche qu’il faut faire une étude de marché détaillée. Gare aux coûts indirects, notamment si l’activité est spécifique ou très technique et nécessite des dépenses supplémentaires : voyages chez des fournisseurs éloignés, embauche de personnel ou de managers européens….
Le handicap de l’éloignement a toutefois été partiellement résolu il y a quelque mois, avec la mise en service de la nouvelle autoroute de contournement de Dubaï, empruntée par les poids lourds. Elle a également permis de désengorger l’émirat de Sharjah et de raccourcir les distances avec le hub international qu’est Dubaï.
Pour les entreprises installées, les avantages semblent souvent supérieurs aux inconvénients. « En Europe, le marché est sinistré, affirme Jean-Marc Houot, un Français qui a obtenu, historiquement, la deuxième licence délivrée par RAKIA pour son entreprise RAK Events. Ici, c’est encore un peu joyeux. L’implantation est rapide, on n’a pas de grosses charges, les taxes sont quasiment nulles et il y a un réservoir de main-d’œuvre qualifiée. » Un marché qui mérite le détour.
Isabelle Durand, à Abou Dhabi
Chiffres clés
Population :241 000 habitants
Superficie : 2 478 km2 ; pourcentage des Émirats : 3,16 % (Abou Dhabi : 85,8 %, Dubaï : 4,95 %)
Nombre de visiteurs : 542 000 (2009)
PIB : 4,3 milliards de dollars (2009)
PIB par habitant : 20 580 dollars
Croissance estimée en 2010 : 5,5 %
Commerce extérieur (2009)
Importations :523 milliards de dollars
Exportations : 565 milliards de dollars
Réexportation : 326 milliards de dollars
Nombre de licences d’entreprises (début 2011)
RAKIA : 8 500 ; RAK Free Trade Zone : plus de 5 000
Source : Department of Economic Development.