Le Moci. Quelles sont les répercussions de la « révolution du jasmin » en Tunisie sur le sourcing de l’Union européenne dans ce pays ?
Jean-François Limantour. La Tunisie est un sous-traitant traditionnel de l’Europe en matière de textile-habillement. La France est à la fois son principal fournisseur de tissus et le premier débouché extérieur de son industrie du vêtement. Des deux côtés de la Méditerranée, on a donc intérêt à ce que ce partenariat ancien survive, voire se développe, d’autant que de nombreuses entreprises européennes, notamment françaises, ont construit des usines sur place. Après la révolution du jasmin, les sociétés textiles étrangères et locales ont rencontré dans certaines régions des difficultés d’approvisionnement, de disponibilité du personnel, d’exploitation, de transport. Mais ce ne fut jamais un mouvement général et profond et, à l’heure où je vous parle, ne subsistent que quelques vibrations post-séisme.
La situation politique et sociale se régularisant, l’économie tend à être sous contrôle, car l’ensemble des acteurs, y compris les syndicats, après un moment d’hésitation, ont pris conscience que, dans un environnement économique ouvert, les concurrents n’attendent que la bonne occasion pour prendre la place de la Tunisie sur le marché mondial. D’ailleurs, je remarque que si les exportations tunisiennes de textile-habillement ont chuté de 15 % en janvier dernier, elles ont gagné 8,7 % en février et 24,6 % en mars par rapport à la même période en 2010. En définitive, entre janvier et mars dernier, les exportations tunisiennes ont progressé de 5,1 % par rapport aux trois premiers mois de l’année passée.
Le Moci. À l’inverse, il semble qu’il y ait eu un transfert des commandes des donneurs d’ordres européens de la Tunisie vers le Maroc. Qu’en est-il exactement ?
Jean-François Limantour. On a craint en début d’année que s’opère un jeu de vases communicants au détriment de la Tunisie. Mais après avoir augmenté en janvier, les exportations marocaines vers l’Europe ont diminué de 12,3 % en février, si bien qu’elles n’ont, en définitive, gagné que 1,2 % sur les deux mois par rapport à janvier-février 2010. Traditionnellement, l’industrie européenne du textile-habillement est un peu plus tournée vers la Tunisie que vers le Maroc et il n’est pas si facile de réorienter des investissements d’un pays vers l’autre. Bien sûr, ce statut quo global pourrait voler en éclats si la situation politique ou sociale se détériorait durablement. La Tunisie et le Maroc sont les premiers fournisseurs de la France. La Tunisie approvisionne aussi beaucoup l’Italie et le Maroc, l’Espagne. L’enseigne Zara, en particulier, assoit sa compétitivité sur sa capacité à offrir des produits nouveaux toutes les semaines. Pour le circuit court, le Maghreb est imbattable. Un pantalon en provenance de Tunisie peut être livré en deux jours en Europe, alors qu’il faut un mois pour l’acheminer de Chine. En revanche, l’Asie est incontournable pour les produits de consommation de masse à bas prix.
Le Moci. Les revendications sociales sont fortes en Tunisie. Êtes-vous inquiet ?
Jean-François Limantour. Non, depuis quelque temps, je suis relativement optimiste. En Tunisie, le chiffre de 15 % d’augmentation des salaires, souvent repris ces derniers temps, concerne surtout les entreprises qui ont jusqu’à présent traîné les pieds en matière sociale. D’autres paient déjà bien leurs salariés. Et les autorités comme les syndicats sont conscients de la nécessité de maintenir la compétitivité de la destination Tunisie par rapport au Maroc, à l’Égypte et à l’ensemble des fournisseurs de l’industrie européenne.
Propos recueillis par François Pargny