Le secteur agricole sera-t-il le grand perdant de l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur scellé fin juin à Bruxelles ? Le fait est que face à la fronde des syndicats du secteur en Europe, la Commission a bien du mal à faire entendre sa voix.
La déclaration à l’OMC signées le 4 juillet par les États-Unis et 15 États – dont trois membres du Mercosur et le Canada- pour dénoncer les normes phytosanitaires et sanitaires européennes, risque d’aviver les débat et donner du grain à moudre aux ‘anti’.
« Certaines craintes sont fondées », reconnaît un expert agricole à la Commission qui a participé aux négociations techniques sur ce volet spécifique du pacte commercial. « Mais les arguments avancés se focalisent sur les points les plus sensibles en omettant les bénéfices attendus pour le secteur et les garde-fous prévus dans l’accord », déplore ce fonctionnaire à Bruxelles.
Si l’intégralité du texte n’a pas encore été rendue publique – seul un résumé est disponible–, l’exécutif européen s’est empressé de diffuser les éléments clés des volets les plus contestés, notamment les chapitres relatifs à l’agriculture, à la sécurité sanitaire et au développement durable.
Levée des droits de douane sur de nombreux produits européens
« Les agriculteurs européens et les entreprises du secteur agroalimentaire profiteront d’un accès sans précédent aux pays du Mercosur qui représente un marché de 260 millions de personnes », souligne le premier document consacré au volet agricole de l’accord.
Premiers bénéfices attendus ? La levée des droits de douane, souvent élevés, sur de nombreux produits importés d’Europe tels que l’huile d’olive, taxée aujourd’hui à 10 %, le vin (27 %) et les spiritueux (de 20 à 35 %), les pêches en conserve (55 %) ou le chocolat (20 %).
Seule l’exportation de certains produits ‘sensibles’ restera limitée par des quotas annuels à droits nuls, fixé à 30 000 tonnes (t) pour le fromage, à 10 000 t pour le lait en poudre et à 5 000 t pour les préparations pour nourrissons.
Autre avantage du pacte commercial : la protection de 350 produits régionaux européens bénéficiant d’une indication géographique (IG), un nombre record jamais égalé dans les précédents accords de libre-échange conclus par l’UE. Grâce à ce label de qualité, le fromage de Herve (Belgique), le comté français, le jambon Jabugo ou la vodka Polska polonaise seront protégés des contrefaçons dans les quatre pays du bloc Mercosur, soit l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.
Les entreprises du secteur agro-alimentaire bénéficieront en outre de procédures d’exportation simplifiées « et de règles d’audit claires et transparentes », indique le document. Les mêmes exigences s’appliqueront aussi à tous les pays de l’UE.
Bœuf : 1,2 % de la consommation totale
« Nous avons pris en compte les craintes des agriculteurs et nous continuerons à protéger leurs intérêts », insiste ensuite la Commission. Certains produits du Mercosur, comme la viande, la volaille ou le sucre, ne disposeront donc que d’un accès « limité et strictement contrôlé » au marché européen, via des quotas annuels fixés dans le pacte commercial.
Le contingent annuel de bœuf, de 99 000 t (55 % de viande fraîche de qualité et 45 % de bœuf congelé), taxé à 7,5 % (au lieu de l’équivalent de 40 % auparavant), « ne représente que 1,2 % de la consommation totale de viande bovine » au sein de l’UE, précise-t-on à Bruxelles.
Par ailleurs, cette quantité ne sera atteinte qu’au terme d’une période de 5 ans afin de laisser le temps aux producteurs européens « de s’accoutumer à cette nouvelle réalité du marché ». La Commission estime par ailleurs qu’au lieu de créer une augmentation équivalente des importations, ce nouveau contingent de « bœuf frais » remplacera celui importé d’autres pays partenaires.
L’UE devrait au final rester un exportateur net de bœuf, grâce à l’augmentation des ventes dans certains pays tiers couplée à l’ouverture de nouveaux marchés clés. « Les estimations tablent sur une augmentation de 15 % des exportations de bœufs européens en 2019 », tempèrent les experts de la Commission.
Volaille, sucre : l’UE reste exportateur net
L’accord limite également les importations de volailles en provenance du Mercosur. Fixé à 180 000 t/an, le contingent est assorti de droits nuls et s’appliquera de manière progressive sur une période de 5 ans après l’entrée en vigueur du traité commercial entre les deux blocs.
« Ce volume représente bien moins d’un an de croissance moyenne observée sur le long terme et correspond à seulement 1,2 % de la consommation actuelle » au sein de l’UE, souligne le document publié par l’exécutif européen. Il indique aussi que l’UE importe aujourd’hui 800 000 t/an de volailles, dont la moitié provient des États du bloc sud américains. En parallèle, l’UE exporte 1,6 million t/an et « réalise ainsi un surplus de 800 000 tonnes ».
Même constat pour le sucre. Avec des exportations européennes de 2,1 millions de tonnes en 2018, l’UE reste un exportateur net de ce produit. L’accord prévoit un quota de 180 000 t/an de sucre à raffiner, à droits nuls, « ce qui représente 1 % de la consommation européenne de sucre », estimée à 19 millions t/an.
Éthanol : quota sous contrôle
Quant au contingent d’éthanol – autre produit sensible pour les producteurs européens – l’accord fixe un volume de 450 000 t/an destiné à l’industrie chimique.
Pour tous les autres usages, l’accord prévoit un quota supplémentaire de 200 000 t/an assortis de droits de douane limités à un tiers des ceux actuellement en vigueur (19 euros/hectolitre).
Ces deux quotas seront également appliqués de façon progressive sur une période de 5 ans après la mise en œuvre du pacte commercial. « Le quota le plus faible pourra être utilisé pour la fabrication de carburant, qui représente de loin la plus grande part de la consommation d’éthanol au sein de l’UE », explique la Commission.
Le volume d’éthanol destiné à l’industrie vise, lui, à faciliter le développement des entreprises de biochimie et de bioplastiques. Celles-ci rencontrent aujourd’hui des difficultés pour se fournir en bioéthanol, à un prix compétitif, l’essentiel de la production étant destiné à la fabrication de combustibles. « Le sous-quota réservé à l’industrie chimique devrait donc avoir un impact positif sur la création d’emplois au sein de l’UE », conclut-on à Bruxelles.
Des mesures de sauvegarde en cas de poussée des importations
Au-delà de ces limitations appliquées aux produits agricoles sensibles, l’accord UE / Mercosur prévoit aussi des mesures de sauvegarde en cas d’augmentation soudaine des importations, entraînant des perturbations sur le marché au détriment des producteurs européens.
Le mécanisme s’appliquera à tous les produits, pas uniquement à ceux considérés comme ‘sensibles’. Et des garanties spécifiques ont également été prévues pour les régions ultrapériphériques de l’UE.
La Commission a en outre dégagé une enveloppe de 1 milliard d’euros pour aider les agriculteurs qui feraient face à des perturbations sur le marché. Une sorte « de filet de sécurité pour assurer la continuité de leurs revenus », précise l’exécutif.
Enfin, et contrairement aux arguments véhiculés par les détracteurs de l’accord, ce sont bien les normes européennes sanitaires et de sécurité des aliments qui s’appliqueront aux produits agroalimentaires importés du Mercosur. « Ceci n’est pas négociable », insiste la Commission.
A l’instar des accords passés par l’UE avec d’autres pays tiers, le traité n’autorisera pas l’importation de bœufs aux hormones ou d’OGM, les normes européennes s’appliquant de la même façon à tous les produits consommés en Europe.
L’accord de libre-échange UE / Mercosur reconnaît également le principe de précaution et le droit des parties à maintenir ou à adopter de telles mesures dans le but de protéger la santé humaine, animale ou végétale.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles