Les compensations industrielles ont le vent en poupe. Et pour cause : après l’aéronautique, ce sont ainsi d’autres secteurs, comme le nucléaire et la construction navale, tous des pôles d’excellence de la France, qui sont confrontés à cette évidence : les pays clients, soucieux de développer leur base industrielle et technologique, demandent dans les marchés publics qu’ils ouvrent à la concurrence internationale des compensations plus élevées que par le passé.
« C’est du donnant-donnant et c’est naturel », commentait ainsi Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des finances, le 11 juin à Paris, lors du lancement d’un guide très pratique intitulé « les compensations industrielles » auquel Bercy a apporté son concours.
Réalisé par le Conseil national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF) et le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), ce guide « à l’attention des ETI et des PME », dont Le Moci a déjà dévoilé les principales lignes et la version numérique en avant première*, était présenté à quelques jours du Salon international de l’aéronautique et de l’espace (SIAE) du Bourget, en présence de son commissaire général, Patrick Daher, président de l’équipementier aéronautique éponyme, et du directeur général de l’Armement, Joël Barre.
A. Pannier-Runacher : « il y a toujours une partie de non dit que seule l’expérience montre »
Ouvrant les débats, le président du Gifas, Eric Trappier, également P-dg de Dassault, a insisté sur l’obligation pour les intégrateurs d’accompagner les PME dans le cadre des compensations industrielles. « Justement, ce guide, qui est pratico-pratique, s’adresse aux PME-PMI. C’est pour elles un outil de travail, car il offre une série d’exemples concrets qui sont très parlants », a renchéri Gilbert Canaméras, qui préside le groupe de travail Financement du CNCCEF.
Les témoignages ainsi recueillis portent sur sept grand pays (Inde, Australie, Malaisie, Émirats arabes unis, Corée, Canada, Turquie), lesquels font tous l’objet, dans le guide, d’une fiche très complète sur leurs systèmes de compensations dans les domaines civil et militaire. « La législation, c’est important. Mais les législations nationales ne sont pas forcément les mêmes que dans l’Union européenne et il y a toujours une partie de non dit que seule l’expérience montre et permet de capter », a encore souligné Agnès Pannier-Runacher.
Des approches différentes selon les pays
Lors d’une table-ronde animée par Christine Gilguy, rédactrice-en-chef du Moci, plusieurs de ces pays (Inde, Australie…) et de ces secteurs (aéronautique, nucléaire, naval) ont été mis en valeur.
« Dans certains pays, comme le Canada et la Turquie, les sociétés sont organisées pour réaliser du transfert de technologie, pour renforcer l’emploi. D’autres territoires, comme l’émirat d’Abu Dhabi préparent l’après-pétrole. Au Brésil, en Australie, en Inde, on veut fabriquer sur place et on veut fabriquer un écosystème. Et quand il n’y a pas d’écosystème, quand il n’y a pas de PME sur place, alors il faut travailler ensemble parce qu’en France existe une base industrielle et technologique », a expliqué Michel Paskoff, coprésident du comité de pilotage pour la rédaction du guide et responsable des Coopérations économiques internationales chez Dassault Aviation.
Dassault en Inde : pour une vision à long terme
En Inde, en septembre 2016, Dassault a remporté un contrat de 36 avions de combat Rafale pour un montant de 7,8 milliards d’euros, selon lequel le constructeur devait offrir 50 % du montant du contrat en offsets (compensations industrielles). Le groupe français a créé une joint-venture, Dassault Reliance Aerospace Ltd (49 % Dassault et 51 % Reliance), à Nagpur, dans l’État central du Maharashtra, « pour faire de l’intégration » et « nous y avons déjà réalisé les premiers tronçons de l’avion d’affaires Falcon 2 000 dans le cadre des compensations », a précisé Michel Paskoff.
Le nombre de sous-traitants sur place étant insuffisant, Dassault, pour constituer un écosystème, a piloté différents événements pour mobiliser des entreprises dans les régions françaises. « On a ainsi une trentaine de PME qui se sont installées ou qui ont accru leur activité sur place. Mais on les a prévenues en leur disant qu’ils pouvaient venir s’ils avaient une vision à long terme sur ce pays » a précisé le responsable.
Latécoère : le parcours du combattant
Cette vision à long terme, c’est, en particulier, celle de Latécoère, auquel Dassault a confié la production du harnais du Falcon 2000. « C’est le déclencheur, mais la raison principale pour nous implanter est double, d’une part le marché indien, d’autre part la constitution d’une structure à coût compétitif », a expliqué Yannick Assouad, directrice générale de l’équipementier toulousain.
« Les concurrents se trouvant essentiellement aux États-Unis, la base c’est d’offrir un produit excellent, mais il faut le faire à un prix compétitif, car, en Inde par exemple, tout ne s’automatise pas », a-t-elle précisé. Après le contrat sur le Falcon 2 000, Latécoère en a remporté un deuxième chez Thales, toujours dans le cadre du programme Rafale.
Reste que l’équipementier a été soumis à un véritable parcours du combattant. « Dix mois de retard sur le planning initial pour s’implanter à 100 % en propre, dont cinq mois d’errance administrative de bureau en bureau pour l’enregistrement parce que personne n’a une vision holistique, et six mois pour obtenir l’autorisation de fonctionner dans la zone sous douane où on s’est implanté, on ne savait jamais si ça allait finir. A côté, en Bulgarie où nous sommes installés depuis un an et demi, il nous a fallu seulement deux mois pour être opérationnel avec l’aide d’Airbus Helicopters », a rapporté Yannick Assouad.
Une PME de 260 personnes, avec un chiffre d’affaires annuel de 35 millions d’euros, a également profité du contrat de Rafale pour attaquer le marché indien. Il s’agit de Turgis & Gaillard, un spécialiste des systèmes avancés de conduites de programmes.
La première pierre de son usine a été posée à Nagpur en avril 2018 et, un an plus tard, le premier système était livré à Dassault. « Tout est flou, les délais ne sont pas évidents. Pour rattraper les retards, on a alors décidé de racheter une société locale », a confié le directeur général, Patrick Gaillard.
Nucléaire : constitution d’une Équipe de France
Autre secteur, la filière nucléaire, sur le modèle du Gifas, a créé le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen). « Il faut être capable de présenter des offres complémentaires, d’aider les entreprises locales et françaises », a affirmé ainsi Matthieu Maurin, directeur de projet chez EDF, qui a dû aussi développer des compensations industrielles dans deux pays : Inde et Arabie Saoudite.
Des clubs pays ont également été lancés dans des pays émergents. Par ailleurs, en septembre prochain, des rencontres entre acteurs français et émirati vont être organisées. « Les Émirats arabes unis possèdent quatre réacteurs de technologie non française. Ils reviennent vers nous pour qu’on travaille avec eux », s’est réjoui Hervé Maillart, coordinateur du Comité de stratégique de la filière nucléaire (CSFN), dont le président, Dominique Minière, est aussi celui du Gifen.
Australie : 50 ans de contrat pour Naval Group grâce aux PME
La construction navale est un autre secteur où les compensations industrielles sont importantes. Tel est le cas du contrat dit de souveraineté de douze sous-marins Barracuda qui seront tous construits en Australie. Le bénéficiaire en est Naval Group. « Nous travaillons avec des entreprises australiennes, mais sans accompagnement des PME françaises, ce serait impossible », a soutenu Michaël Croënne, directeur de la Coopération internationale du groupe français.
Les efforts à réaliser sont conséquents : formation à la culture et la législation locales, connaissance et choix des zones d’implantation, par exemple. Avec l’aide de Business France et du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican), des rencontres ont été organisées entre entreprises australiennes et françaises pour des partenariats, des joint-ventures. Mais il s’agit d’un contrat sur le très long terme. « 50 ans de travail permet de fédérer et de créer des synergies », a observé Michaël Croënne.
Invitée à clôturer le débat, la députée des Yvelines Marie Lebec, membre de la commission des Affaires économiques à l’Assemblée nationale, s’est réjouie de « la démarche collective » engagée en Australie. Elle a aussi alerté sur la nécessité de protéger les technologies. Mais aussi celle d’être toujours plus innovant.
François Pargny
*Article et guide sont en accès gratuit, cliquez sur : Compensations industrielles : un guide pratique pour s’adapter aux exigences des pays d’accueil