L’interdépendance grandissante des économies nationales, le vent de révolte qui traverse le Maghreb et le Moyen-Orient ainsi que la volatilité des capitaux ont conduit Euler Hermes à revoir sa définition du risque pays. L’assureur-crédit intégrera désormais à sa grille de lecture deux nouveaux indicateurs, l’un mesurant la vulnérabilité cyclique d’une économie, l’autre sa vulnérabilité financière. Il entend également donner plus d’importance au risque sociopolitique.
La bonne vieille notion de risque pays, chère à tout praticien du commerce international, a vécu, estime-t-on chez Euler Hermes. « Nous voulions redéfinir la notion de risque pays parce que les ressorts de l’économie mondiale ne sont plus les mêmes qu’il y a dix ans et parce qu’on assiste à des faits nouveaux, comme les révoltes démocratiques dans le monde arabe », a ainsi souligné Wilfried Verstraete, président du directoire du numéro un franco-allemand de l’assurance-crédit, lors de la présentation, le 28 avril, de son dernier Bulletin économique, intitulé « Les difficultés des uns sont les problèmes de tous ».
« C’est la fin d’une approche classique, purement structurelle, du risque économique et politique de transfert et de convertibilité », précise Karine Berger, directrice marchés et marketing et chef économiste chez Euler Hermes. Une évolution méthodologique dictée par les récents bouleversements de l’économie mondiale. À commencer par un niveau d’interdépendance jamais égalé dans l’histoire du commerce international, un phénomène mis en lumière par l’envolée des prix des matières premières. Qu’il s’agisse des métaux (+ 48 %), des produits agricoles (+ 33 %) ou de l’énergie (+ 26 %), « cette hausse s’applique à tous les pays, en même temps ». En parallèle, « les échanges croisés progressent du fait d’une hausse de la demande, due à la reprise et à un phénomène de rattrapage des pays émergents, d’une ouverture sans précédent des frontières et de la mondialisation de la création de valeur ajoutée », explique Karine Berger.
Soudées entre elles, les économies sont donc exposées à un effet domino lorsqu’une crise survient dans l’une
d’entre elles. L’exemple le plus marquant est celui de la triple catastrophe japonaise du mois de mars (séisme, tsunami, accident nucléaire) qui a désorganisé les secteurs de l’électronique et de l’automobile au niveau mondial : rupture des chaînes d’approvisionnement, arrêts de la production… Au point d’avoir, constate la chef économiste, « un effet immédiat sur le risque commercial un peu partout dans le monde ». Une catastrophe naturelle a ainsi augmenté le risque de non-paiemet des créances commerciales. Au final, l’interdépendance génère un risque cyclique. Et fait surgir le besoin de mesurer le risque de dégradation de la qualité des paiements au regard de l’évolution macroéconomique d’un pays. L’assureur-crédit a ainsi créé deux indicateurs :
• le Cyclical Risk Indicator (CRI), indicateur de vulnérabilité cyclique, classe les pays en trois catégories : niveau 3 (risque élevé, majoritairement en Europe du Sud), niveau 2 (risque moyen, essentiellement dans les pays développés et en Europe émergente) et niveau 1 (risque globalement peu élevé, en Asie) ;
• le Financial Flows Indicator (FFI), indicateur de flux financiers, mesure la vulnérabilité à un choc exogène et la capacité d’un pays à résister ou à éviter un choc systémique, en particulier au regard de la sensibilité des flux de capitaux. Si la volatilité des capitaux reste forte, « contrairement à ce qui se passait dans les années 1980 et 1990, elle touche désormais plus les pays développés que les émergents, où les réserves de change s’accumulent », constate Karine Berger. Cette situation pèse sur les politiques monétaires. Par ailleurs, « les pays empruntent de plus en plus à l’extérieur pour financer leur dette souveraine et on assiste à une imbrication sans précédent des flux bancaires, qui provoque des effets de court-circuit ». Un problème de remboursement de la dette dans un pays impacte l’ensemble des dettes détenues par d’autres pays. « C’est le risque le plus dangereux, car c’est celui qui a le plus de conséquences sur l’économie réelle. »
Sans surprise, les pays surendettés de l’Europe – l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et le Portugal – mais aussi la Turquie, sont classés H (high, risque élevé) selon l’indicateur FFI. Les économies émergentes d’Asie et d’Amérique latine se voient attribuer un L (low, risque bas), tandis que le Japon, l’Égypte, la Tunisie, mais aussi certains pays européens comme la Croatie, la Hongrie, l’Italie et le Royaume-Uni sont classés M (medium, risque moyen).
Les phénomènes sociaux et politiques constituent un autre thème qu’Euler Hermes souhaite prendre mieux en compte lors de l’attribution des notes de risque. Sans toutefois créer un indicateur dédié. « On regardait le risque politique, alors qu’il fallait intégrer le risque social, à savoir les effets d’une répartition inégale des fruits de la croissance et les conséquences d’évolutions démographiques et techniques », reconnaît Karine Berger. Selon ses analyses, réalisées a posteriori, la Tunisie, l’Égypte et la Libye sont trois exemples frappants de pays à forte croissance du PIB par habitant, mais où le taux d’emploi est faible. Autre point commun à ces trois pays qui se sont soulevés : leurs populations sont jeunes et disposaient de moyens techniques (téléphones portables, connexions Internet) leur permettant de communiquer malgré le peu de liberté d’expression.
Avec ces événements sociopolitiques qui, du reste, ont pris tout le monde de court, mais aussi l’interdépendance économique et financière, ainsi que les conséquences de la catastrophe japonaise, le besoin d’une visibilité du risque pays à court terme se fait grandement ressentir. Du côté des entreprises, le rôle des risk managers est appelé à monter en puissance. Les assureurs-crédits, à l’instar d’Euler Hermes, vont devoir adapter leur grille de lecture et délivrer une information plus fine. Est-ce que cela coûtera plus cher aux entreprises ? « Le taux de prime ne changera pas », assure Wilfried Verstraete.
Sophie Creusillet