Officiellement, la visite improvisée de Mike Pompeo à Bruxelles, lundi 13 mai, avait pour but de partager des informations et de « mettre à jour » les partenaires européens sur les nouvelles menaces au sujet de l’Iran. En coulisses, le chef de la diplomatie américaine a vainement tenté de rallier ses homologues – réunis dans la capitale européenne pour un conseil « Affaires étrangères » – à la ligne dure de l’administration Trump à l’égard de Téhéran. Entre les Américains et les Européens, une sorte de dialogue de sourds semble s’instaurer sur le dossier iranien.
« La plus responsable des attitudes est celle qui permettra d’éviter une escalade militaire »
« S’il suffisait de parler gentiment, le problème serait réglé depuis une décennie. Mais c’est un régime qui ne comprend que la pression économique et l’isolement diplomatique », s’est justifié Brian Hook, l’envoyé spécial du Département d’Etat pour l’Iran qui accompagnait Mike Pompeo, devant la presse. Les deux hommes sont repartis bredouille à l’issue de la réunion. Car malgré la pression américaine, les Vingt-huit sont restés fermes, refusant de dévier d’un iota la position qu’ils défendent depuis le retrait américain de l’accord global sur le nucléaire iranien (JCPOA pour Joint Comprehensive Plan of Action).
Après s’être tour à tour entretenu avec Mike Pompeo, en marge de la réunion officielle, les ministres des Affaires étrangères des trois pays européens signataires du JCPOA (Allemagne, France et Royaume-Uni), ont tenu le même discours, appelant les Etats-Unis à faire preuve de modération. Le secrétaire d’Etat « a entendu le message très clair de ma part ainsi que des autres ministres des Etats membres. Nous sommes dans un moment délicat, crucial même. La plus responsable des attitudes est celle qui permettra d’éviter une escalade militaire », a indiqué Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne.
Une stratégie américaine perçue comme « illisible »
Des inquiétudes également relayées par son homologue britannique, Jeremy Hunt, qui a mis en garde Mike Pompeo contre les « risques d’un conflit pouvant survenir par accident ». La tension serait montée d’un cran lorsque les Vingt-huit ont été informés, par les autorités saoudiennes, des actes de sabotage qui ont endommagé quatre navires, au large des Emirats. Si le régime iranien n’a pas, ou pas encore, été montré du doigt, il est régulièrement accusé par l’administration de Donald Trump de préparer des attaques imminentes contre des intérêts américains dans la région.
De quoi justifier, pour Washington, le nouveau déploiement de navires et de missiles au Moyen-Orient, faisant de la zone « une véritable poudrière », a déploré un diplomate européen, tout en reconnaissant l’impuissance de l’UE : « nous n’avons aucun moyen d’action pour contrer la politique étrangère agressive des États-Unis ». Une stratégie perçue en Europe comme « illisible », consistant à fermer toutes les portes tout en appelant l’Iran à reprendre le dialogue. Dans ce contexte, l’Europe est malheureusement réduite à un rôle d’observateur.
« Il est essentiel que les Européens restent unis sur le sujet », a insisté Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères. Pris en étau entre les pressions américaines et l’ultimatum de Téhéran – qui a donné 60 jours aux autres pays signataires de l’accord pour mettre en œuvre leurs engagements « en particulier dans les secteurs pétroliers et bancaires » – les Vingt-huit tiennent à préserver coûte que coûte leur fragile unité.
La Russie et la Chine en retrait de l’Instex
Dans les conclusions adoptées à l’issue de la réunion, ils rappellent donc leur engagement à respecter les termes du JCPOA tout en refusant de céder aux menaces des autorités iraniennes. « Tant que l’Iran n’aura pas l’arme nucléaire, nous maintiendrons l’accord », a assuré Heiko Maas, le chef de la diplomatie allemande. Autre main tendue en direction de Téhéran. « Nous allons rendre opérationnel l’Instex et réaliser les premières transactions dans les prochaines semaines », a annoncé Federica Mogherini.
Mais cet instrument, imaginé par Paris, Berlin, Londres et Bruxelles afin de continuer à commercer avec l’Iran malgré les sanctions américaines, ne suffit pas à rassurer les entreprises européennes opérant dans le pays. « Nous avons créé les conditions pour maintenir les échanges avec l’Iran, mais les entreprises sont malgré tout inquiètes des conséquences pour leurs activités aux États-Unis. C’est pour cette raison que nombre d’entre elles préfèrent se retirer », a souligné Johannes Hahn, le Commissaire en charge de la Politique de voisinage et de l’élargissement.
D’abord accueilli avec enthousiasme, l’Instex est aujourd’hui jugé insuffisant pour faire face au rouleau compresseur américain. Faiblement doté, il rassemble toujours les trois seuls pays européens signataires du JCPOA. Leurs appels répétés en direction d’autres États, en particulier la Russie et la Chine, pour qu’ils prennent part au dispositif, sont jusqu’ici restés sans réponse de la part des pays intéressés.
Faute de garanties solides, les Européens craignent de voir l’Iran se désengager totalement de l’accord conclu péniblement en 2015. Car malgré leur volonté affichée de poursuivre leurs échanges commerciaux avec le pays, les chiffres sont sans appel. Selon Eurostat, l’office européen de statistiques, les importations en provenance d’Iran se sont effondrées, tombant à 82 millions en février 2018 alors qu’elles s’élevaient à 1,2 milliard le même mois de l’année précédente.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles