L’idylle semble se poursuivre entre l’Union européenne (UE) et le Japon. Réunis à l’occasion d’un nouveau sommet bilatéral à Bruxelles, le 25 avril dernier, Shinzo Abe – le Premier ministre nippon –, entouré de Donald Tusk et de Jean-Claude Juncker – les présidents du Conseil et de la Commission –, ont ouvert les discussions par un premier bilan de l’accord de libre-échange entré en vigueur le 1er février 2019.
Soulignant l’impact de ce « partenariat unique », qui concerne 630 millions de consommateurs, soit un tiers du PIB mondial, Shinzo Abe a rappelé que « face au protectionnisme qui semble se développer nous partageons la même volonté ». Alors que les deux blocs traversent une phase de turbulences commerciales avec les États-Unis, ils comptent bien, ensemble, porter ce message lors du prochain G20 qui se tiendra en juin à Osaka, sous présidence japonaise.
Tokyo souhaite un Brexit avec accord
Mais le Brexit, autre sujet inscrit au menu de la rencontre, reste une source d’inquiétude majeure pour Tokyo, comme l’a rappelé à diverses reprises le Premier ministre japonais. Lors de la conférence de presse finale, il a d’ailleurs exhorté les Européens à éviter « coûte que coûte » un divorce sans accord pour en minimiser l’impact sur l’économie mondiale.
Au cœur de ses préoccupations : le sort des entreprises japonaises qui ont massivement investi au Royaume-Uni, « porte d’entrée » dans l’UE pour le Japon. Elles ont besoin de « stabilité juridique » afin de poursuivre leurs activités commerciales dans le pays, a insisté Shinzo Abe, précisant qu’il avait déjà évoqué la question avec son homologue britannique Theresa May.
Approche commune vis-à-vis de la Chine
Autre menace commune, abordée lors du sommet : celle venant de Chine, pays que les deux blocs qualifient désormais de « rival systémique ». Sur le dossier, les objectifs de Tokyo et de Bruxelles sont à l’unisson.
Pékin doit « accepter l’idée de mettre fin à ses subventions publiques à l’exportation », a indiqué Jean-Claude Juncker. Un point qui figure d’ailleurs dans la déclaration commune* adoptée à l’issue de la rencontre. Tout comme la question sensible des transferts de technologies imposés aux entreprises étrangères opérant sur le sol chinois. « La communauté internationale doit appeler la Chine à jouer un rôle constructif » a indiqué le chef du gouvernement nippon.
Mais en coulisses ce dernier n’aurait pas caché ses inquiétudes face aux ambitions chinoises croissantes dans la zone pacifique. « Nous resterons loyaux l’un envers l’autre », a tempéré Donald Tusk en insistant sur le rôle du Japon, qui « restera notre partenaire le plus proche en Asie ».
Coopération en matière de cybersécurité
La coopération en matière de donnés et de sécurité a également été abordée dans la foulée, ce thème figurant dans les priorités de la présidence japonaise du G20. Pour Shinzo Abe, cette question sensible doit se conformer à l’esprit de l’initiative « Data Free Flow with Trust » (le libre flux des données en confiance).
Si le géant chinois des télécommunications n’a pas été directement cité par les représentants des deux blocs, c’est bien sûr la participation de Huawei au déploiement de la 5G qui était au cœur des discussions. « Il est important d’agir collectivement sur ce front », a insisté Shinzo Abe.
Quant à Jean-Claude Juncker, il a tenu à rappeler la position de l’UE : « nous ne rejetterons pas quelqu’un simplement parce qu’il vient de loin, ou parce qu’il est chinois. Les règles doivent être respectées ». Dans la déclaration commune, les deux blocs s’engagent à soutenir, ensemble, un « cyberespace ouvert, libre, stable, accessible, interopérable, fiable et sûr ».
Le Japon prudent sur la réforme de l’OMC et le climat
Mais sur deux autres dossiers, les Européens n’ont pas réussi à obtenir l’engagement qu’ils souhaitaient auprès de Tokyo. Malgré son souhait affiché de renforcer davantage ses relations avec l’UE, le Japon – soumis également à une forte pression de la part de Washington – continue à traîner des pieds, d’abord, sur la réforme de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) que la Commission appelle de ses vœux. Et il y a urgence, ne cesse-t-on de répéter à Bruxelles. Faute d’accord d’ici à la fin de l’année, la nomination des juges au sein de l’Organe de règlement des différends (ORD) restera bloquée, paralysant de fait cette instance clé de l’OMC.
Mais l’UE et les États-Unis continuent à défendre des positions divergentes sur le sujet. Pris en étau entre ses deux partenaires, Tokyo préfère jouer la carte de la prudence, soulignant ses tentatives pour favoriser un « dialogue constructif entre Bruxelles et Washington ». S’il promet d’envoyer « un message fort à la communauté internationale », à l’occasion du prochain G20, Shinzo Abe a refusé d’inscrire autre chose qu’une vague référence à cette réforme dans la déclaration conjointe, évoquant simplement « une priorité commune » entre les deux blocs.
La Commission qui espérait trouver des alliés pour soutenir ses propositions, se retrouve donc de plus en plus isolée. Le 19 avril passé, le Japon et l’Australie ont en effet mis en avant leurs propres idées, jugées bien plus proches des préoccupations des États-Unis, qui préconisent – contrairement aux Européens – de limiter les compétences et les décisions prises par le gendarme mondial du Commerce.
Sur la question climatique, Bruxelles et Tokyo n’ont pas non plus affiché le même niveau d’ambition. De passage à Bruxelles avant un déplacement prévu à la Maison Blanche, Shinzo Abe a en effet refusé de s’engager à accélérer la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat de 2015, autre bête noire du président américain. Alors que les Européens auraient souhaité faire du dossier l’une des grandes priorités du G20, les Japonais freinent des quatre fers, soulignant que l’obtention de résultats tangibles en la matière ne dépendait pas seulement de « la bonne volonté de la présidence japonaise ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Pour accéder au texte de la déclaration commune UE/Japon adoptée à l’issue du sommet, cliquez ICI