Alors que les flux aériens de marchandises augmentent régulièrement, notamment avec l’essor du e-commerce, les acteurs du transport aérien s’engagent progressivement dans des actions limitant les effets en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de polluants.
Le transport de fret aérien est le mode qui émet le plus de CO2 à la tonne-kilomètre (voir graphique ci-dessous). Même si le transport aérien international dans son ensemble ne représente actuellement qu’environ 2 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone, ses émissions augmentent de manière continue sous l’effet de la croissance du trafic. Que ce soit pour les avions-cargos (48 % du fret aérien en 2016) ou les avions passagers qui transportent des marchandises en soute (52 % du volume en 2016), il est urgent d’agir.
Pour limiter les effets néfastes sur le changement climatique, l’industrie aérienne, à travers l’IATA (International Air Transport Association) s’est engagée dès 2009 à une croissance neutre en carbone à partir de 2020 et à une réduction de moitié des émissions de CO2 d’ici 2050, par rapport aux niveaux de 2005.
Compensation des émissions de CO2
De leur côté, après près de six années de négociation, les 191 États membres de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) ont adopté le 6 octobre 2016 la résolution A39-3 entérinant l’accord sur la mise en place d’un programme mondial de compensation et de réduction des émissions de CO2 de l’aviation internationale, baptisé CORSIA, pour « Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation », ou en français Régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale. L’objectif est de maintenir le niveau des émissions de CO2 des vols internationaux par rapport au niveau de 2020.
Concrètement, à compter du 1er janvier 2019, tous les transporteurs aériens sont tenus de déclarer leurs émissions de CO2 sur une base annuelle. Les compagnies aériennes devront acheter des crédits de compensation des émissions de CO2 supérieures au niveau des émissions de l’année 2020 auprès des programmes de compensation carbone (énergie renouvelable, reforestation…) certifiés par l’OACI.
Début 2019, 75 pays ont confirmé leur participation au CORSIA, représentant 75,96 % de l’activité aéronautique internationale. Deux phases de mise en œuvre sont prévues : entre 2021 et 2026 basée sur le volontariat, puis une seconde phase à partir de 2027 où le dispositif s’appliquera de façon universelle, sauf exemption. L’OACI doit contribuer à la mise en place d’organismes de vérification accrédités d’ici début 2020, lorsque devra commencer la soumission par les exploitants aériens de leurs rapports d’émissions.
Le panier de mesures de l’OACI pour la protection de l’environnement comprend le CORSIA mais aussi des activités et des solutions axées sur les technologies liées aux avions, l’amélioration des procédures opérationnelles et des infrastructures, ainsi que des carburants d’aviation durables (voir graphique ci-dessous).
« L’obligation de déclarer les émissions à compter du 1er janvier 2019, en vertu de CORSIA, va pousser l’industrie à investir dans des aéronefs plus efficaces au plan énergétique et des carburants durables pour l’aviation », estime Alexandre de Juniac, directeur général de l’IATA.
Propulsion électrique et hybride
Côté avions, il s’agit d’en diminuer la consommation, notamment par l’amélioration de l’efficacité des turbines, de l’aérodynamisme ou l’allègement des appareils. Plusieurs exemples illustrent cette tendance.
L’équipementier aéronautique Safran travaille sur le système propulsif « open rotor » qui dispose d’une architecture non-carénée et à double hélice contrarotatives, qui permettra de réduire la consommation de carburant et les émissions de CO2 de 30 % par rapport aux moteurs Safran actuels. Safran travaille aussi sur l’UHBR (Ultra High Bypass Ratio), un turbofan caréné à haut taux de dilution qui permettra de réduire la consommation de carburant de 5 à 10 %. L’UHBR est, selon Safran, une option crédible pour les avionneurs à l’horizon 2025 en raison de sa capacité d’intégration sur les avions actuels.
L’avion électrique en fait rêver plus d’un. Par exemple, la compagnie aérienne EasyJet a pour ambition de faire voler un avion 100 % électrique d’ici 2030. Son partenaire, la start-up américaine Wright Electric, va tester un avion électrique à neuf places en 2019 et a déposé un brevet pour un moteur sur de plus gros aéronefs. « La portée de l’avion électrique est d’environ 500 kilomètres, ce qui voudrait dire, dans le cadre de notre portefeuille actuel, qu’une route comme Amsterdam à Londres pourrait devenir la première ‘voie de migration’ électrique », indique Johan Lundgren, P-dg d’Easyjet.
Airbus, Rolls-Royce et Siemens travaillent au projet E-Fan X de propulsion hybride. « Le moment est venu de se concentrer sur les gros avions et de rapprocher les avions hybrides électriques de la réalité, explique Olivier Maillard, responsable du projet E-Fan X. Tout simplement, l’industrie ne peut atteindre ses objectifs de développement durable avec les technologies existantes aujourd’hui. Notre objectif est de remplacer l’une des quatre turbines à gaz installées sur un banc d’essai en vol par un moteur électrique de 2 MW. Cela représente 60 fois plus de puissance que le précédent E-Fan. Rien de tel n’a jamais volé auparavant. » La clé de cette avancée majeure est le rythme rapide du développement de la technologie des batteries et des piles à combustible. La fabrication des pièces pour l’E-Fan X démarre en 2019, suivie par des essais au sol, puis en vol d’ici fin 2020.
Contrôle de la circulation et infrastructures
Côté procédures, contrôle de la circulation et infrastructures, de nombreuses actions peuvent permettre aux avions en roulage et en navigation ainsi qu’aux aéroports de diminuer leurs émissions de CO2.
Par exemple, le projet Solar-at-Gate fournit aux avions, dans le but de réduire les émissions de CO2 lors de leurs opérations au sol, de l’air préconditionné et de l’électricité compatible au moyen de systèmes fonctionnant à l’énergie solaire.
Une nouvelle installation d’énergie solaire de 1,2 MW montée au sol est entrée en service en janvier 2019 à l’aéroport international de Douala, au Cameroun. Ce dernier éliminera ainsi au moins 2 575 tonnes de CO2 émises par plus de 5 100 vols chaque année, sur la base de plus de 5,5 millions de kWh que le système devrait générer annuellement. Cette installation a été précédée d’initiatives similaires en Jamaïque et au Kenya. D’après Jane Hupe, directrice adjointe environnement de l’OACI, « l’Organisation s’attend à ce que bon nombre d’autres pays adoptent des solutions efficaces semblables en matière d’énergie solaire aux portes d’embarquement pour réduire les émissions. »
Hausse de la consommation de biocarburants
Enfin, les biocarburants sont utilisés pour remplacer une partie du kérosène. Fabriqués à partir de biomasse ou de déchets, leur utilisation réduit de 50 à 90 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport au kérosène. Ils permettent aussi de réduire les émissions de polluants, oxydes de soufre et particules notamment.
De nombreux vols d’essai et commerciaux avec des biocarburants ajoutés à hauteur de 30 à 50 % du volume ont déjà eu lieu depuis 2008. En 2017, 25 compagnies aériennes ont opéré des vols avec ce type de carburant ; ce sont plus de 100 000 trajets qui ont ainsi été effectués cette année-là, l’IATA prévoyant un million de vols en 2020.
Plusieurs compagnies aériennes, dont le transporteur de fret FedEx Express, ont acheté à terme un volume total de 1,5 milliard de gallons de carburant d’aviation durable (sustainable aviation fuels, SAF). Les aéroports d’Oslo, Stockholm, Brisbane et Los Angeles mélangent déjà des SAF au carburant ordinaire.
Tous ces efforts sont louables, mais ils ne suffiront probablement pas si, comme le soulignait l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) lors des Assises du transport aérien 2018, l’on n’ouvre pas le débat sur la maîtrise du développement du trafic aérien, la maîtrise de la demande représentant l’un des leviers essentiels pour réduire les gaz à effets de serre et les polluants atmosphériques.
De plus, ces projets ne seront certainement pas suffisants pour contrer l’inéluctable changement climatique en cours, notamment du fait de délai de mise en œuvre importants. Sans compter que le transport aérien devrait souffrir du réchauffement climatique, qui a des impacts sur la circulation des avions.
Christine Calais
La pollution aérienne sent le soufre
Au-delà des émissions de CO2, l’augmentation du trafic aérien, note l’IFP Energies Nouvelles (IFPEN), a un impact sur notre environnement proche, notamment dans les zones urbaines situées à proximité des aéroports (émissions de NOx, de particules de suies, d’hydrocarbures imbrûlés, bruit…), mais aussi en vol sur la haute atmosphère (émissions de particules et d’oxydes de soufre, et formation de nuages de traînées dont l’effet et la réactivité sont encore mal connus à haute altitude). Par ailleurs, le transport aérien est le seul secteur qui n’a connu aucune sévérisation de la teneur maximale en soufre qui a toujours été limitée à 3 000 ppm pour une moyenne mondiale constatée qui se situe autour de 500 ppm alors que tous les carburants terrestres sont déjà pratiquement exempts de soufre ou le seront dans un proche avenir dans la plupart des pays.