Alors que les Trésors de Toutankhamon viennent s’exposer à Paris, à la Grande Halle de la Villette, pour quelques mois, l’Égypte est un pays qui sourit à la France. Et pas seulement sur le plan culturel. La relation politique est bonne, et l’a toujours été – si l’on excepte la période nassériste. Les relations entre les présidents Macron et Al-Sissi sont ainsi excellentes. Et sur le plan économique, elles sont au beau fixe et ont du potentiel.
Aujourd’hui, Le Caire achète à l’Hexagone autant ses Rafale que ses équipements électriques et ses produits pharmaceutiques. Le pays des pharaons était ainsi son 15e excédent commercial en 2018, avec un montant de 937 millions d’euros.
C’est une situation dont peut se féliciter Paris, alors que l’Égypte affiche une stabilité politique rare dans la région et que « le miracle de son redressement économique est en cours », a observé Jérôme Baconin, le chef des Services économiques au Caire, lors d’un séminaire de Business France à Paris, le 15 mars.
Selon lui, « l’Égypte a absorbé le choc social de son programme négocié avec le Fonds monétaire international pour un montant de 12 milliards de dollars ». Ce programme se termine. Un objectif important aujourd’hui est, toutefois, de faire passer l’inflation sous la barre des 10 % l’an prochain.
Le frein de la bureaucratie
Bien sûr, tout n’est pas parfait. L’excédent commercial de la France s’érode. L’an dernier, encouragées par la dépréciation de la livre égyptienne, les importations de la France, composées à près de 50 % d’hydrocarbures, d’engrais et de produits de la chimie organique, ont bondi de près d’un quart. Elles ont ainsi dépassé les 769 millions d’euros, alors que les exportations tricolores ont perdu 7,82 % à 1,7 milliard d’euros.
Une raison du recul des ventes est la perte du marché des céréales au profit de la Russie. Aujourd’hui, dans l’agroalimentaire, la France livre pour plus d’un tiers des sucres et sucreries. A noter, néanmoins, que l’aéronautique ne figure pas dans les ventes de l’Hexagone à l’Égypte, dans la mesure où elles passent par des loueurs du Golfe. Le poste Navigation aérienne et spatiale n’a ainsi contribué que pour 66 millions d’euros, alors qu’il s’agit traditionnellement d’un pôle d’excellence de la France.
On peut encore estimer que 3 600 exportateurs français recensés sur l’Égypte, c’est peu, surtout si l’on considère que ce chiffre est le double au Maghreb. Une explication est la difficulté à aborder ce pays de 100 millions d’habitants, qui est également une plateforme entre le Moyen-Orient et l’Afrique. La raison tient en un seul mot : « bureaucratie ».
Certes, dans le classement Doing Business 2019 de la Banque mondiale, l’Égypte a gagné huit places. Reste que sur 190 pays classés, elle occupe une peu enviable 120e position, étant distancée par la majorité de ses voisins (Émirats arabes unis 11e, Maroc 60e, Bahreïn 62e, Oman 78e, Tunisie 80e, Qatar 83e, Arabie Saoudite 92e, Koweït 97e, Jordanie 104e).
« Il faut être patient, il faut prendre son temps, être opiniâtre. Il faut aussi penser à des partenariats et ne pas hésiter à se faire accompagner », a conseillé Stéphane Romatet, l’ambassadeur de France en Égypte.
La PME Toutenkamion veut s’implanter
Fabricant d’unités mobiles cliniques, la PME Toutenkamion a approché le marché égyptien avec l’aide de Business France. En juillet dernier, Le Caire a lancé un appel d’offres pour une affaire de 300 camions destinés à desservir les zones rurales en Haute-Égypte et dans le Sinaï.
Quelques jours avant le séminaire de Business France, la PME du Loiret a appris qu’elle avait perdu, « mais on va continuer », a promis Bertrand Plouviez, le directeur commercial Afrique et Asie. Et d’expliquer : « nous avons compris que l’Égypte est un marché de volume et donc de prix. En fait, elle veut la qualité européenne au prix turc ou chinois. Nous avons serré nos marges, nous n’y sommes pas arrivés cette fois ». Malgré cette première tentative qui n’a pas abouti, Bertrand Plouviez est persuadé qu’il faut poursuivre l’effort.
Stéphane Romatet ne l’a pas démenti, bien au contraire. L’ambassadeur a mentionné que dans quinze à vingt ans, l’Égypte se sera dotée d’une nouvelle capitale et de 13 villes nouvelles pendant que la population globale aura grimpé à 250 millions d’habitants. La demande dans de multiples domaines va augmenter, comme par exemple en matière de santé. Dans ce domaine, a-t-il assuré, « ce pays a l’intention de faire de la France son pays de référence. Et rapidement la ministre de la Santé égyptienne se rendra à Paris ».
De son côté, son homologue française, Agnès Buzyn, devrait se déplacer au Caire, vraisemblablement au moment de la tenue par Business France d’un forum économique, avec une forte composante Santé, au Caire, les 14 et 15 octobre*.
La santé, une priorité nationale
La santé représenterait un marché de 800 millions de dollars par an, en croissance de 6,4 % en moyenne depuis 2008. « La France est 6e fournisseur avec 40 millions de dollars par an. C’est un marché de prix, avec une présence turque, chinoise, européenne », a détaillé Ludovic Prevost, directeur Business France Égypte.
La rénovation et la construction d’hôpitaux bénéficient de financements des institutions internationales et des États du Golfe. Le grand sujet d’actualité est le lancement d’une couverture sociale universelle. « 70 % des dépenses de santé sont effectuées hors couverture sociale, la moitié de la population n’a pas accès aux soins et certaines pathologies de développent dans ces conditions, comme l’hépatite C ou les maladies cardiovasculaires », a exposé Thomas Gonnet, responsable d’équipe projet en Santé publique à l’Agence française de développement (AFD).
Après avoir affecté 30 millions d’euros au système de santé primaire du pays en 2017, le gouvernement a débloqué 60 millions pour le projet de santé universelle attendu en 2032 pour couvrir 90 % de la population.
Des discussions sont aussi ouvertes pour la création d’un Samu égyptien. Une étude de faisabilité portant sur le traitement du cancer a fait également l’objet d’un protocole d’intention entre Paris et Le Caire.
Cerise sur le gâteau, comme pour la Ville durable, la France dispose en Égypte d’un Club Santé pour accroître la visibilité de l’offre française, partager l’expérience des grandes entreprises avec les PME. On y trouve des sociétés aussi diverses que Sanofi, Servier ou Danone. « Pour accroître les exportations, nous avons entamé des discussions avec le ministère de la Santé de façon à ce que soient admis un prix interne et un prix à l’export », a indiqué Magued El Sayed, responsable Affaires publiques et accès au marché chez Sanofi.
Une diversification industrielle indispensable
Sanofi est l’une des 160 sociétés tricolores qui se sont dotées d’une filiale locale. Globalement, les investissements directs étrangers (IDE) dans le pays auraient atteint 7,3 milliards d’euros en 2017. Mais ils sont très concentrés sur le gaz, Mais « les IDE ne sont pas assez ciblés sur l’économie du quotidien, notamment l’industrie manufacturière », a commenté Jérôme Baconin.
A cet égard, le projet emblématique est le développement du gisement de Zhor avec ses 850 milliards de mètres cubes de gaz récupérable pour un investissement évalué à 8 milliards de dollars. L’Égypte devient un hub gazier et va notamment transformer le gaz de Chypre et d’Israël dans ses usines de liquéfaction, mais ses IDE stagnent et sont à 80 % induits par le gaz.
Les énergies non renouvelables (ENR) doivent être encouragées. D’un mix, qui doit être composé de 20 % d’ENR en 2022, l’Égypte doit passer à 40 % en 2035. L’AFD est engagée dans des projets d’énergie photovoltaïque, des projets privés sont aussi engagés, prévoyant le rachat de l’électricité par l’état.
Dans les technologies et les services, le pays des pharaons présente une variété d’activités, allant des centres d’appels à Internet, en passant par les développeurs de logiciels et les télécommunications. Les compétences humaines existent. Dans un de ses plus grands centres de recherche et développement en programme informatique, Valéo emploie plus de 2 000 ingénieurs, un chiffre qui devait passer à 3 400 d’ici à deux ans.
Les opportunités de la loi d’investissement
Le cadre légal est en train d’évoluer pour attirer de nouveaux investisseurs. Le 31 mai 2017, a été publiée la loi sur l’Investissement n°72. Un guichet unique pour les licences et les permis a été ouvert. Le ministre de l’Investissement et de la coopération Sahar Nasr a aussi annoncé l’ouverture de 19 nouvelles zones industrielles, en plus de la zone spéciale économique du Canal de Suez, « avec des incitations attachées aux secteurs et aux zones géographiques », a précisé Karim Refaat, P-dg de N Gage Consulting.
En marge de l’évènement de Business France, Hassan Behnam, le directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie française en Égypte, a évalué à plus de 5 milliards de dollars les investissements sur place. Il a confié au Moci que tous les projets annoncés jusqu’à présent (MOU…) devraient entraîner une hausse de ce chiffre d’au moins 1,5 milliard.
Selon Karim Refaat, les entreprises françaises doivent retenir quatre mots : « emploi », « export », « investissement », « formalisation (du secteur informel) ». « Si vous apportez des projets qui correspondent aux soucis des autorités, vous serez très bien accueillis » a-t-il affirmé. Reste maintenant à concrétiser.
François Pargny
*Pour en savoir plus : à Paris, [email protected] et, au Caire, [email protected]