Pour la première fois, les exportations françaises de vins et spiritueux ont franchi la barre des 13 milliards d’euros (Md EUR). Avec 13,2 Md EUR exactement en 2018, elles ont augmenté de 2,4 % en valeur par rapport à l’exercice précédent. En revanche en volume, après une année de répit en 2017, les expéditions ont recommencé à baisser.
« Avec des quantités en recul de 2,7 % à 193 millions de caisses*, nous avons enregistré un petit tassement uniquement dû aux vins (- 6 millions de caisses), ce qui est en ligne avec la récolte historiquement faible de 2017, qui n’a pas permis de livrer comme nous l’aurions voulu », a expliqué Antoine Leccia, le président de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France (Fevs), lors de la présentation du bilan 2018 de la filière, le 13 février, à Paris.
Le Top 5 des pays clients n’a pas bougé : États-Unis, Royaume-Uni, Chine, Singapour, Allemagne. Ils ont absorbé à eux cinq les deux tiers les livraisons françaises en valeur.
L’Asie, marché incontournable
La Fevs présentait le bilan de la filière le jour même du vote par le Parlement européen de l’Accord de libre-échange (ALE) entre l’Union européenne (UE) et Singapour. Une coïncidence qui n’est pas sans importance si l’on considère que Singapour et Hong Kong sont les principales plateformes internationales de redistribution en Asie.
Certes, avec Singapour, l’objectif de l’UE est avant tout d’abattre les barrières non tarifaires, avec notamment la protection des identifications géographiques. Mais c’est aussi le pays le plus riche de l’Association des nations d’Asie du Sud-est (Asean), la zone dans le monde en plus fort développement, et une porte d’entrée sur le grand marché chinois.
Si l’on ajoute Singapour et Hong Kong à la Chine, la « grande Chine » a représenté 18,6 % des exportations tricolores, loin devant le Royaume-Uni, avec 10 %, et derrière les Etats-Unis, avec 24,3 %. Dans le détail, les livraisons ont perdu 14,4 % sur la Chine et gagné 8,3 % et 12,3 % sur Singapour et Hong Kong.
Sur un marché chinois où la France détient 40 % de part de marché en volume et « au moins 47 % en valeur », selon Nicolas Ozanam, délégué général de la Fevs, au regard de l’évolution du marché, « nous sommes fondamentalement positifs », a estimé Antoine Leccia. « Les réseaux de distribution se structurent et, après les villes primaires et secondaires (Pékin, Shanghai…), nous avons encore à explorer toutes les cités tertiaires (Chengdu…) », a précisé celui qui est aussi le président du directoire du groupe Advini.
Cognac et bordeaux croient en la Chine
« En Chine, le cognac a une marge de progression », a assuré Patrice Pinet, président de Courvoisier, du Syndicat des marques de cognac (SMC) et vice-président de la Fevs. Singapour est une plateforme de distribution de cette eau-de-vie de vin, qui a enregistré une croissance de ses exportations de 5,6 % sur la « grande Chine », 5,9 % sur l’ensemble de l’Asie.
Pour le bordeaux, 2018 n’a pas été une bonne année pour plusieurs raisons. D’abord, du fait de la mauvaise récolte 2017. « La hausse des cours a rendu certains marchés plus compliqués en Chine », relatait Philippe Castéja, président du groupe bordelais Borie Castéja Animation Participations (BCAP) et vice-président de la Fevs. En outre, le resserrement du crédit dans ce pays aurait incité les professionnels à déstocker plutôt qu’acheter.
Reste la confiance des consommateurs chinois dans les produits français. En analysant les chiffres des Douanes chinoises, la Fevs constate que si les importations ont globalement reculé l’an dernier de 6 % en valeur, la plupart des pays clients ont été touchés, la France certes, avec – 8,7 %, mais aussi l’Australie, avec – 3,5 %, ou l’Espagne, avec – 20 %. « Seul le Chili a échappé à la dégringolade, car ce pays ayant signé un ALE avec la Chine ne paie aucun droit de douane, alors que nous sommes astreints à un taux de 17 % », a noté Antoine Leccia.
Du bon usage des ALE avec le Japon et le Vietnam
Hors « grande Chine », le reste de l’Asie a contribué à hauteur de 15 % à la croissance globale des exportations françaises. Une tendance favorable alors que l’ALE entre l’UE et le Japon, huitième pays client de la France en vins et spiritueux, derrière la Belgique et Hong Kong, est entré en vigueur le 1er février dernier. « La suppression des droits de douane va nous mettre à égalité avec la Chine et, en plus, nos identifications géographiques sont protégées », s’est félicité le président de la Fevs.
Philippe Castéjà a insisté, de son côté, sur l’ALE UE-Vietnam. Cet État membre de l’Asean « est un marché important de plus de 100 millions d’habitants, avec une population jeune. En outre, les barrières tarifaires de 50 % sur les alcools seront intégralement supprimées sur une période sept ans », se réjouissait le patron bordelais. Reste que l’accord est soumis à l’approbation du Parlement européen, qui n’aura vraisemblablement pas le temps de se prononcer avant les élections de fin de mandature en mai, ce qui devrait repousser le vote à l’automne.
États-Unis, un premier marché très dynamique
S’agissant des États-Unis, « les chiffres sont bons. Malgré les piques de Monsieur Trump, l’économie est très dynamique. Nous y avons augmenté nos ventes de 4,6 % à 3,2 milliards d’euros et la demande reste plutôt solide », a observé Antoine Leccia.
Concernant le cognac, « c’est un marché en croissance de 5 % en valeur, grâce à la bonne santé de l’économie américaine, à la tendance aux alcools bruns – cognac, malt, bourbon, téquila – et à la mode du premium », a exposé Patrice Pinet. Côté bordeaux, les volumes livrés outre-Atlantique auraient été stables et le chiffre d’affaires aurait cru de 20 % grâce aux disponibilités des millésimes 2015 et 2016.
Globalement, avec une hausse de 2,6 % sur un an, les pays non européens représentaient les deux tiers des exportations de l’Hexagone. Malgré l’épée de Damoclès du Brexit, le chiffre d’affaires sur le Royaume-Uni a été stable à 1,3 milliard d’euros.
Sur un marché mâture pour lui, le cognac a subi le contrecoup de la baisse de 15 % de la livre britannique. Même constat pour le bordeaux, dont les expéditions ont, néanmoins, progressé. « Il y a des anticipations, des hésitations. On sent depuis le début de l’année que les marchands britanniques sont inquiets », a rapporté Philippe Castéjà.
Royaume-Uni : les anticipations et hésitations du Brexit
Les nuages ne s’amoncellent pas seulement sur le Royaume-Uni. « En 2019, il va nous falloir apprendre à naviguer en eaux troubles », a lâché Antoine Leccia, faisant allusion à la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, au ralentissement de l’économie chinoise et au Brexit.
Avec le Royaume-Uni, selon lui, on ne saurait, à ce stade, exclure des blocages aux frontières, de nouvelles taxes à l’import, une économie atone outre-manche, ce qui aurait un impact négatif sur le pouvoir d’achat, et de nouvelles fluctuations monétaires.
A l’inverse, il ne faudrait pas perdre de vue que la planète se couvre d’un nombre toujours croissant de consommateurs de vins et spiritueux. Ces dernières années, le rosé de Provence ou les blancs du Val de Loire ont réalisé des percées remarquables aux États-Unis. L’Afrique offre aussi de nouveaux espaces aux alcools forts. Patrice Pinet citait ainsi l’Afrique du Sud et le Nigeria, deux nations à forte population et dont le pouvoir d’achat s’élève. De quoi trinquer l’avenir…
François Pargny
*Vins : caisses de 12 bouteilles, soit 9 litres par caisse. Spiritueux : caisses de 12 bouteilles, soit 8,4 litres par caisse.
Pour prolonger :
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