Le Moci. Vous pilotez le Comité France de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica). Et, à ce titre, vous co-présidez le Conseil de chefs d’entreprise France-Tunisie, avec votre homologue au Medef Eric Hayat, par ailleurs, cofondateur de la société de services informatiques Steria. Quelles sont les activités de cette association commune aux deux patronats ?
Tarak Chérif. Notre action est à la fois nationale et régionale en Tunisie et en France. C’est ainsi que, l’an dernier, nous avons mené, avec Medef Ille-et-Vilaine, une mission de 48 heures entre Rennes et Tunis avec 145 personnes. Nous avons organisé le même type d’opération avec Medef Paca et allons récidiver avec Medef Midi-Pyrénées, parce que l’aéronautique est un secteur émergent en Tunisie. Le secteur est une deuxième clé d’intervention du Conseil. Nous pensons qu’un ticket gagnant-gagnant est possible entre des sociétés de services informatiques de Paris et de Tunis, dans la chimie, la mécanique, l’électronique ou le bâtiment. Enfin, la Tunisie peut faire le lien avec les pays voisins, l’Afrique. Moi-même, je travaille en Algérie et en Libye. Le groupe Alliance, qui est surtout présent dans la peinture industrielle et de carrosserie, les résines et plastiques, réalise ainsi 45 à 50 % de ses ventes à l’export, essentiellement en Afrique. La mentalité tunisienne, par nature, est plus adaptée à ce continent que la mentalité européenne.
Le Moci. La France a été le premier pays à apporter son soutien, quand son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a annoncé, le 20 avril, une aide de 350 millions d’euros pour 2011-2012. Que pensez-vous du soutien français ?
Tarak Chérif. La France a toujours été très proche de la Tunisie, mais, depuis la révolution, son aide reste timide. Historiquement, l’Agence française de développement (AFD) a été très utile et très présente. J’essaie de comprendre la situation en France, mais pour nous, qui nous tournons mécaniquement vers elle, nos attentes avec la France dépassent de loin ce qui a été fait. Sans parler de plan Marshall, il faut plus d’applications, plus de réponses à nos besoins prioritaires à moyen et long terme, et peut-être à court terme. Il faut plus de signaux forts : plus d’achats, plus de crédits, plus de fonds mobilisés pour l’investissement. La France doit aussi agir beaucoup plus pour élever notre niveau de formation et même notre niveau d’éducation. C’est urgent, car il y a une grande attente de la jeunesse. La Tunisie est un pays ouvert et notre référence, c’est l’Europe, c’est la France. Nous avons tous intérêt à réussir la transition politique dans mon pays. C’est peut-être en Tunisie qu’a eu lieu la première véritable révolution arabe aboutie.
Le Moci. Le temps que de nouvelles institutions soient mises en place, il faudra bien compter 18 mois. Ne craignez-vous pas que l’instabilité politique et sociale fasse fuir les investisseurs français ?
Tarak Chérif. Je n’ai pas connaissance d’une société qui ait fermé boutique. Certes, des entreprises françaises temporisent, mais d’autres viennent aussi. Alors, il est évident qu’il faut rester vigilant, ce qui signifie que la situation doit absolument se stabiliser. Et je remarque avec satisfaction que nous allons vers la normalisation. La Tunisie demeurera donc une nation avec un fort potentiel compétitif. Pour autant, il nous faut encore travailler pour développer des régions et des secteurs. Certains investisseurs français conservent encore de la Tunisie une image purement touristique et ignorent cette image d’intelligence compétitive que nous nous sommes forgé. La Tunisie, ce n’est pas uniquement de la main-d’œuvre, c’est aussi de l’intelligence. Alors pourquoi s’installer en Chine ou en Inde ? En France, les SSII manquent d’ingénieurs informatiques. Il y a en a dans mon pays. Donnez la priorité à la Tunisie.
Propos recueillis par François Pargny