La fin de la lune de miel a-t-elle sonné ? S’ils ont été salués par Business France et les réseaux consulaires, les résultats des premiers appels d’offres lancés par l’agence publique pour mettre en place des « correspondants uniques » du dispositif public de soutien à l’export « Team France Export » (TFE) dans huit pays ont provoqué la grogne des sociétés privées de l’accompagnement export. Le motif : les Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger (CCIFI) ont raflé toute la mise, tant pour les concessions de service public (CSP) en Belgique, Hongrie, Maroc, Norvège, Philippines et Singapour que pour les marchés de services publics (MSP) au Japon et à Hong-Kong.
D’où un communiqué plutôt amer de l’OSCI, la fédération qui rassemble les sociétés d’accompagnement à l’international (SAI) et les sociétés de commerce international (SCI), le 18 décembre, auquel Business France a répondu, par l’intermédiaire du Moci, en se défendant de toute partialité et en réaffirmant sa volonté « d’agréger autour de la TFE le maximum de partenaires ».
Crainte d’une concurrence faussée
Pour commencer, le communiqué désabusé de l’OSCI. Cette dernière « regrette d’abord que les pays choisis par Business France pour lancer ses appels d’offres étaient précisément ceux où des CCIFI étaient volontaires pour y participer, et que sur chaque pays l’appel d’offres de Business France ait à chaque fois pris la forme précise (CSP ou Services) que souhaitait la CCIFI locale » indique ce texte. En Hongrie, la CSP aurait été attribuée « apparemment sans appel d’offres » pointe encore l’OSCI.
Autre motif de mécontentement : le Maroc. L’OSCI « fait part de son grand étonnement quant à l’attribution d’une CSP à la Chambre française de commerce et d’industrie française au Maroc, alors même que la DSP qui lui avait été concédée antérieurement (et qui venait à échéance) était critiquée, y compris par Business France elle-même » lâche l’OSCI.
Et d’enfoncer le clou en formulant la crainte que « les CCIFI attributaires des CSP ne séparent pas leur activité ‘de service public’ concédée par Business France de leur activité ‘commerciale’ de prestataire de service universel (…), ce qui serait susceptible de fausser la concurrence entre les CCIFI et les opérateurs privés dans ces 9 pays ». Reste en effet la Russie, et peut-être le Kazakhstan, qui s’ajouteront aux huit pays déjà cités. Un risque d’autant plus grand, selon l’OSCI, que « les CCIFI pourront bénéficier, du fait de la CSP, d’un apport de clientèle constant et gratuit via le dispositif public, ce qui leur conférera un avantage compétitif dans la vente de tous les services qu’elles proposent par ailleurs ».
E. Vauchez : la TFE, un « entre-soi » ?
Pour finir, l’OSCI « déplore la mise en place d’un dispositif export fondé sur des « guichets uniques » en région et des « correspondants uniques » dans chaque pays, estimant que cette approche « met à l’écart les opérateurs privés et permet à Business France, aux CCI et CCIFI de vendre plus facilement leurs propres services » alors que ces prestations relèvent du « marché ».
Le moins que l’on puisse dire est que le ton tranche avec l’ambiance qui avait prévalu le 23 février dernier à Roubaix, lors d’une table-ronde qui avait réuni tous les acteurs revendiqués de la « Team France export » pour marquer l’annonce par le Premier ministre de la nouvelle stratégie pour le commerce extérieur. Etienne Vauchez, président de l’OSCI, faisait ainsi partie des intervenants conviés à s’exprimer aux côté de Christophe Lecourtier, le directeur général de Business France et de la députée Marie Lebec, qui préside le Groupe d’études parlementaire Attractivité – export – investissement – compétitivité. L’OSCI avait alors salué le lancement de cette stratégie.
Sollicité par Le Moci, Etienne Vauchez, le président de l’OSCI, confirme le ton général désabusé du communiqué : « c’est un point d’alerte sur cette TFE qui semble se construire dans le cadre d’un entre-soi entre Business France, les CCI et les Régions », déplore-t-il. « Au Maroc, ce qui s’est passé est très choquant compte tenu de l’historique de la DSP dans ce pays, car il y avait un autre candidat crédible, membre de l’OSCI ».
Si pour les premières attributions de DSP et CSP, son organisation n’ira pas plus loin que cette alerte – ce qui ne préjuge pas des recours éventuels que feront les concurrents évincés localement-, elle suivra de près la manière dont les attributaires vont se comporter : « c’est le point sur lequel nous ne lâcherons pas : surveiller si une CCIFI devient trop dominante vis-à-vis de nos adhérents au point de les évincer du marché ». Le sujet est d’autant plus sensible pour les sociétés privées d’accompagnement que contrairement à Business France, les CCIFI proposent des services plus étendus aux entreprises, en concurrence directe avec leurs propres activités : hébergement, domiciliation, administration d’activités export, portage salariale, etc.
B. Trivulce : des décisions « collégiales » et « impartiales »
Contactée par Le Moci, Business France a réagi au communiqué par l’intermédiaire de Benoît Trivulce, ancien patron de Business France au Brésil, actuellement directeur général délégué en charge des finances, des ressources humaines, du système d’information, du juridique, du réseau international et de la stratégie.
D’abord une précision : contrairement à ce qu’indique l’OSCI dans son communiqué, la CSP en Hongrie a bien été attribuée suite à un appel d’offre puisque cette concession était le lot n° 2 de « l’avis de concession de service public » diffusé à l’automne par l’agence. Sur les huit pays concernés au total, poursuit Benoît Trivulce, « une offre concurrente à celle des CCIFI a été reçue dans trois pays, dont une émanant d’un membre de l’OSCI ». Le Maroc fait bien partie de ces trois cas.
Notre interlocuteur dément tout favoritisme dans l’attribution des contrats : « le meilleur choix tel qu’on le perçoit pour les entreprises a été fait », indique Benoit Trivulce, qui précise que l’arbitrage final a été fait par le directeur général de Business France lui-même, Christophe Lecourtier. « Si in fine, ce sont les offres de CCIFI qui ont été retenues, chaque lot a été traité et examiné indépendamment des autres, au cas par cas, par une commission composé de représentants de Business France et des tutelles » indique-t-il, ajoutant que « pour nous, les CCIFI sont des entités privées ».
Toujours selon le responsable, les offres ont été analysées de façon « impartiale » et « collégiale », au regard des critères fixés dans les cahiers des charge, avec des objectifs « volumétriques », en termes de nombre d’entreprises pouvant être accompagnées, et des objectifs « qualitatifs », en termes de services apportés aux entreprises.
« Nous avons aussi exigé des engagements déontologiques de la part des attributaires, très importants pour nous, afin d’éviter de générer des abus de positions dominantes » poursuit notre interlocuteur. Concrètement, assure Benoît Trivulce, « ils ont du montrer leur capacité à présenter d’autres offres que la leur ». Chaque candidat écarté aurait reçu une lettre justifiant du choix final.
Enfin, sur le Maroc, qui cristallise la colère des OSCI, Benoît Trivulce explique que Business France a tenu compte des faiblesses passées et revu le cahier des charges, qui comportait selon lui des lacunes en termes d’exigences. « On a considéré que les termes de concession devaient être améliorés, avec des engagements précis sur les objectifs d’accompagnement et les moyens mis en œuvre par l’attributaire », précise le responsable. « Il y avait des arguments intéressants et sérieux de la part du concurrent mais la Chambre s’est engagée à mettre en place des moyens, notamment humains, plus importants ».
Russie : vers une approche par lots, « peut-être sectoriels »
Pour calmer les appréhensions des OSCI, Benoît Trivulce se veut rassurant sur la suite. « On a encore quelques pays, la Russie, le Kazakhstan, pour lesquels on va ouvrir des consultations : notre intérêt est d’avoir des concurrents » assure-t-il. Pour la Russie, très suivie par les sociétés privées, il précise que l’appel d’offres pour un marché de services sera lancé « avant la fin du premier trimestre 2019 » et qu’il pourrait concerner « plusieurs lots, peut-être sectoriels », ce qui satisferait une approche défendue par l’OSCI pour ce pays spécifique.
Benoît Trivulce insiste : la philosophie de la nouvelle stratégie de Business France « c’est d’agréger autour de la TFE le maximum de partenaires ». Business France a prévu, dans cet objectif, de procéder « à des référencements des partenaires en fonction de leurs compétences » dans les pays comme dans les Régions, où ce sera la vocation des plateformes de solutions. « On est au début de l’histoire, insiste encore Benoît Trivulce, l’idée ce n’est pas de nous retirer mais d’avoir de plus en plus de partenaires pour augmenter le nombre d’entreprises qui exportent ».
A suivre…
Christine Gilguy