Est-ce que l’Italie peut faire capoter le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) ? Un an après la mise en vigueur provisoire de l’Accord économique et commercial global (AECG) – sa dénomination en français – entre le Canada et l’Union européenne (UE), signé le 21 septembre 2017, la possibilité d’un échec ne peut être écartée.
Le Sénat à Rome a bien ratifié le CETA, mais c’était sous l’ancien gouvernement. Au sein du nouveau gouvernement populiste, le ministre de l’Agriculture actuel, Gian Marco Centinaio, a déclaré qu’il demanderait au Parlement de voter contre l’adoption de l’accord. Un revirement on ne peut plus surprenant, surtout au regard des raisons avancées. Mais avant de rentrer dans le détail, un petit retour en arrière s’impose.
Rome critique le choix des IG
Lorsque Bruxelles et Ottawa ont négocié, un des intérêts offensifs défendu par la Commission européenne était la reconnaissance des identifications géographiques alimentaires. C’est ainsi que 143 IG européennes ont été reconnues par le Canada. Une victoire symbolique, car c’était la première fois qu’un pays du groupe de Cairns, réunissant les grands pays agricoles de la planète, acceptait ce système, qui allait protéger notamment 43 IG françaises et 40 italiennes.
Donc, à l’époque, l’Italie avait tout lieu de se réjouir. Sauf que les IG qu’elle avait demandées concernaient toutes des produits du nord. Gian Marco Centinaio a donc mis un coup de botte, obligeant les partenaires des deux côtés de l’Atlantique à réfléchir à une solution. Fort heureusement, un article du CETA permet d’élargir la liste. Il pourrait être utilisé pour intégrer des produits du sud de la péninsule, permettant ainsi de lever la menace de veto de l’Italie.
Le sujet pourrait ainsi être abordé lors de la première commission mixte, à Ottawa le 26 septembre, à laquelle se rendra la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström.
L’Italie n’est pas le seul pays aujourd’hui à traîner des pieds. Seuls douze Parlements nationaux ont ratifié le CETA (République tchèque, Suède, Finlande, Danemark, Estonie, Lituanie, Lettonie, Croatie, Chypre, Portugal, Espagne, Royaume-Uni).
Vienne, Bruxelles et La Haye attendent l’avis de la CJUE
Le Parlement autrichien a également ratifié l’accord, mais le président de ce pays attend pour apposer sa signature que la Cour de justice européenne (CJUE) se prononce sur la compatibilité du système de la Cour d’investissement (ICS) avec les traités européens. Cette demande de compatibilité a été adressée à la CJUE par la Belgique, dont une des régions, la Wallonie, avait un temps retardé la signature de l’accord, avant son adoption finalement en octobre 2016. Les Néerlandais ont également décidé d’attendre la décision de la CJUE.
Côté européen, on fait valoir que l’UE et le Canada ont adopté un système suffisamment protecteur des intérêts nationaux, en choisissant de créer pour le CETA une Cour multilatérale des investissements avec des juges indépendants plutôt qu’un mécanisme d’arbitrage pouvant donner la primauté aux intérêts privés.
Exportations de l’UE vers le Canada : + 7 %
Ces réticences européennes paraissent d’autant moins justifiées, à Bruxelles, que les premières tendances montrent que l’accord profite d’avantage à l’UE qu’au Canada. Certes, il faut se montrer prudent : les statistiques européennes, françaises et canadiennes divergent et il est sans doute un peu trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Il faudrait aussi déterminer l’impact des grands contrats ponctuels alors que la période disponible ne porte que sur septembre 2017-juillet 2018 par rapport à la période correspondante un an auparavant. Mais force est de constater que si l’UE a engrangé des gains, le Canada, au contraire, a subi des pertes.
Côté européen, on a ainsi enregistré une hausse globale des exportations de 7 %, la chimie-pharmacie représentant à elles seules 20 % du total.
Dans le détail, les ventes européennes ont augmenté dans la céramique (+ 43 %), les légumes (+ 68 %), les meubles (+ 10 %), le chocolat (+ 34 %), les fruits et noix (+ 29 %). D’après les Douanes françaises, les exportations tricolores au Canada ont cru de 5,3 % (et de 10 %, selon les Douanes canadiennes). Principaux produits ayant affiché des hausses : vin (+ 5 %), parfum (+ 22 %), voitures (+ 70 %), pièces détachées (+ 46 %), chimie (+ 62 %), produits laitiers et fromages (+ 8 %).
Importations européennes : – 3 %
Dans le sens inverse, les importations européennes en provenance du Canada ont baissé de 3 % et de 9,3 % pour la France, avec notamment – 2,7 % dans la viande, d’après les Douanes françaises. Ce secteur avait fait l’objet de toutes les attentions, les professionnels de l’Hexagone craignant une invasion.
Pour le moment, la dizaine de fermes canadiennes aux normes européennes n’ont que peu utilisé le quota sans droit de douane arraché par Ottawa lors des négociations avec Bruxelles. A savoir 46 000 tonnes de bœuf sur cinq ans et 70 000 tonnes de porc.
De fait, les taux d’utilisation des quotas sont faibles : au dernier trimestre 2017, de 0,5 % pour le porc et 2,3 % pour le bœuf ; et en 2018 de 3 % pour le porc et 1,15 % pour le bœuf.
Première raison que l’on peut invoquer : les professionnels canadiens n’ont sans doute pas encore adapté leur outils et pratiques aux normes européennes (qui excluent la présence d’OGM…). Une autre explication serait que le marché chinois, très demandeur, rémunère mieux, et ce, sans les mêmes exigences en matière sanitaire et phytosanitaire que dans l’espace européen. De quoi soulager la filière de la viande en France…
François Pargny