Les Européens montrent les dents mais seront-ils prêts à mordre ? Face au retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, annoncé le 8 mai par Donald Trump, la résistance s’organise mais les options possibles, pour les États du Vieux continent, semblent néanmoins limitées. Et leur mise en œuvre dépendra bien sûr de l’unité des Européens et de leur détermination à s’opposer aux diktats de Washington. Réunis depuis le 16 mai au soir à Sofia pour un sommet théoriquement consacré aux Balkans, les 28 chefs d’État et de gouvernement ont ajouté le dossier brûlant du nucléaire iranien à l’ordre du jour. Reste à savoir si la position offensive prônée notamment par Paris et Berlin, qui jouent le plus gros économiquement, sera soutenue par les autres capitales.
« Nous avons la responsabilité et le devoir de faire tout ce que nous pouvons pour préserver, non pas un accord bilatéral, mais une résolution du Conseil de sécurité, qu’aucun pays tout seul ne peut détricoter », a plaidé Federica Mogherini, le 11 mai, devant un parterre réuni au prestigieux Institut universitaire européen de Florence. Mais « ce sera très difficile », a aussi reconnu la cheffe de la diplomatie européenne.
Même analyse de la part de ses homologues allemands, britanniques et français réunis dans la soirée du 15 mai à Bruxelles avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Zarif. « Nous allons examiner les possibilités et instruments que nous avons pour défendre nos intérêts. Mais cela ne sera pas facile, c’est très clair pour nous », a commenté Heiko Maas, le chef de la diplomatie allemande.
Les Iraniens veulent « continuer à bénéficier pleinement de l’accord »
Premier défi : convaincre les Iraniens de continuer à respecter les termes de l’accord.
Si Hassan Rohani, le président de la République islamique, a assuré vouloir discuter avec les Européens, les Chinois et les Russes, il a également insisté sur la nécessité, pour l’Iran, de « continuer à bénéficier pleinement de l’accord avec la coopération de tous les pays ».
En bref, si ces derniers démontrent leur capacité de faire fi des sanctions américaines, en poursuivant leurs activités commerciales en Iran, l’accord restera en vigueur. S’ils cèdent aux pressions de Washington, Hassan Rohani a assuré que le programme d’enrichissement d’uranium serait relancé « sans limites ». Et c’est bien là que le bât blesse, car l’UE est l’une des premières cibles de la réintroduction de sanctions économiques américaines.
Les géants industriels européens risquent gros
En 2017, les entreprises européennes ont commercé pour un montant global de 25 milliards de dollars avec l’Iran, contre 200 millions pour les firmes américaines. Elles ont donc largement plus profité de cette ouverture que leurs concurrentes américaines.
Et le message de Washington est on ne peut plus clair : toutes les entreprises – américaines comme étrangères – qui font du business avec l’Iran dans les secteurs concernés par la réintroduction de leurs sanctions « extraterritoriales » (pétrole, aviation, finance, assurances, informatique, etc.) sont priées de liquider leurs activités dans les trois à six mois. Et tout nouveau contrat est immédiatement prohibé, au risque pour les entreprises étrangères, également présentes sur le marché américain, d’être condamnées à de lourdes amendes.
« Les sanctions américaines cibleront les secteurs essentiels de l’économie iranienne. Les entreprises allemandes opérant en Iran devraient mettre un terme à leurs activités immédiatement », a déclaré, dans un tweet, Richard Grenell, le nouvel ambassadeur américain à Berlin. Une menace qui ne vise pas seulement l’Allemagne. Plusieurs géants européens, tels qu’Airbus, Siemens, Peugeot-Citroën, Renault, Total, Eni, Danieli, qui opèrent en Iran mais aussi sur le marché américain, risquent donc gros s’ils décidaient de maintenir leur activités dans les deux pays.
Quel scénario pour contourner le retrait américain ?
« Il est pour le moment difficile de quantifier l’impact économique possible du retrait américain », reconnaît Emma Marcegaglia, présidente de BusinessEurope, la principale fédération patronale européenne. Mais face à « l’incertitude et à ses conséquences négatives », elle exhorte les institutions de l’UE et les États membres à défendre les intérêts des entreprises européennes.
Un appel bien entendu à la Commission qui travaille, depuis l’annonce de Donald Trump , sur les différents scénarios pour contourner le retrait des États-Unis. Principale piste connue à ce stade : l’introduction du règlement de blocage datant de 1996. Imaginé à l’époque par l’UE pour contourner l’embargo américain sur la Libye, l’Iran et Cuba, il donnerait aux entreprises européennes une protection juridique leur permettant de ne pas être soumises aux sanctions américaines.
« La deuxième piste de travail, c’est celle de l’indépendance financière européenne : comment fait-on pour doter l’Europe d’instruments financiers qui lui permettent d’être indépendante face aux États-Unis ? », a indiqué Bruno Le Maire. Le ministre français de l’Économie a également évoqué l’idée de doter l’Europe d’un « bureau de contrôle » – à l’image de ce qui existe outre Atlantique – « capable de regarder les activités des entreprises étrangères et de vérifier qu’elles respectent les décisions européennes ». Une réponse musclée préconisée par la France qui risque néanmoins de rencontrer des réticences parmi les autres membres de l’UE.
« Les Européens ont toujours été assez peureux et se sont alignés sur les Américains (…). Et ils ne se brouilleront pas avec les États-Unis uniquement pour les beaux yeux des Iraniens », estime François Nicoullaud, l’ancien ambassadeur de la France à Téhéran, interrogé par Le Point. De son côté Donald Tusk, le président du Conseil européen, a promis « une approche européenne unie », tant sur le dossier du nucléaire iranien que sur les menaces de taxes sur l’acier et l’aluminium pour lesquelles les Européens n’ont obtenu qu’une exemption temporaire jusqu’au 1er juin prochain.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui :
–Iran : la France veut renforcer l’arsenal de défense commerciale de l’UE contre les États-Unis
–Iran : Medef et Medef International créent un numéro vert pour les PME
–Iran / Export : les entreprises plongées dans l’incertitude et le flou juridique