En invitant la presse au Sénat, le 1er mars, l’Union des industries textiles (UIT) avait pour objectif d’alerter sur les dérives des systèmes de préférences généralisées (SPG, SPG+, EBA). Alors que la Commission européenne a publié le 19 janvier un rapport sur les privilèges accordés par l’Union européenne (UE) *– un exercice auquel elle est obligée de se plier tous les deux ans – l’UIT veut que les États membres exercent une pression sur les nations bénéficiaires qui enfreignent leurs engagements sociaux, environnementaux, dans les droits de l’homme, et pratiquent une concurrence déloyale.
Premier accusé, le Pakistan, dont les exportations d’habillement dans l’UE sont passées de 2,8 milliards de dollars en 2012 à 4,8 milliards en 2016. Entre temps « en 2014, le SGP+ a été attribué au Pakistan, contre l’avis de la France, qui ne considérait pas ce pays comme particulièrement faible et surtout estimait qu’il ne respectait pas les droits de l’homme », exposait Henri Malosse, ex-président du Conseil économique et social européen (CESE), en présence d’Emmanuelle Butaud-Stubbs, déléguée générale de l’UIT.
Le linge de maison français en danger
Mais qu’est-ce que le SGP+ ? Un petit retour en arrière s’impose. C’est dans les années 70 que le système des préférences généralisées (SPG) a été instauré au profit de pays « qui en ont besoin » pour les aider à s’insérer dans les échanges mondiaux. Dans la pratique, c’est un dispositif offrant une plus grande ouverture commerciale et des facilités administratives à ses bénéficiaires. A partir de 2012, ce statut a été amélioré. En l’occurrence, les pays s’engageant à appliquer une série de 27 conventions internationales en matière d’égalité homme-femme, de droits de l’homme ou encore de développement durable obtenant une franchise en douane sur 91 % des lignes tarifaires.
Toutefois, les PMA (pays les moins avancés) disposaient déjà depuis 2001 d’un accès libre au marché européen sur « tout, sauf les armes » (en anglais EBA pour Everything, but arms).
Aujourd’hui, ils sont 82 pays au total (SPG, 23 ; SPG+, 10 ; EBA, 49), à bénéficier de taux réduits ou nuls et de formalités allégées **. Parmi les SGP+, le Pakistan qui pose un problème particulier à la France, notamment à sa filière linge de maison. C’est une spécialité de cette nation asiatique. Or, ses exportations dans l’UE ont bondi de 23 % en deux ans pour s’élever à 1,5 milliard d’euros en 2016, si bien qu’il s’est accaparé 20 % du marché européen de linge de maison.
« Les prix ont baissé en Europe, des producteurs ont disparu et les grands distributeurs et chaînes de premier prix ont optimisé leur sourcing, notamment au Pakistan. Or, déplorait Emmanuelle Butaud-Stubbs, les valeurs humaines et les contraintes sociales et environnementales auxquelles sont contraintes nos entreprises ne sont pas suivies dans cette nation d’Asie ».
Le chantage d’Islamabad
« La Commission européenne, mais aussi le Royaume-Uni et l’Allemagne, soutiennent qu’il y a des progrès. Mais c’est uniquement sur le papier », assurait Henri Malosse. Preuve en est, selon lui, le rétablissement de la peine de mort par Islamabad, l’usage abusif des tribunaux ou encore le développement du travail informel dans le textile.
La filière du cuir et de la chaussure dans l’UE est aussi inquiète. « Le système de contrôle européen n’est pas efficace. La Commission a mis en place un dispositif de Score card, mais c’est confidentiel. Il n’y a donc pas de véritables indicateurs de la bonne gouvernance, du développement soutenable, du respect des droits de l’homme. Des organisations non gouvernementales indépendantes ont également été expulsées. Et pour les fonctionnaires européens voyager sur place n’est pas sûr », expliquait également Madi Sharma, membre britannique du Cese et fondatrice du groupe Madi, un ensemble d’entreprises privées à but social et d’ONG.
Les États membres de l’UE hésiteraient à sévir, parce qu’Islamabad ferait du chantage. De façon concrète, les autorités mettent dans la balance la réadmission de leurs propres migrants et la lutte contre les talibans en Afghanistan. « Pour faire pression sur le Pakistan, il faudrait pouvoir faire pression sur la Chine », réagissait Dilnur Reyhan, enseignante à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
La Route de la Soie passe par le Pakistan
Le Pakistan, avec le port eau profonde de Gwadar dans le Balouchistan, est le débouché du corridor économique sino-pakistanais (CPEC), un projet de liaison routière, énergétique et de télécommunications ralliant la Chine à la mer d’Arabie. Pékin a annoncé 50 milliards de dollars d’investissements dans le cadre son initiative des Routes de la Soie entre l’Asie et l’Europe.
« Quand on dit qu’il faut suspendre le SPG+ au Pakistan, la direction générale du Commerce nous répond que l’on va donner le Pakistan à la Chine », regrettait Henri Malosse. En outre, selon lui, « il y a une suspicion que des produits made in Pakistan viennent, en fait, de Chine ». A cet égard, l’Italie aurait entamé un travail d’investigation sur les règles d’origine.
Pour sa part, l’UIT propose des pistes de réformes. « Il faudrait établir des seuils pour que les pays bénéficiaires obtiennent tout ou partie du GPS+ et contrôler les engagements pris par l’ensemble des entreprises, y compris européennes », défendait ainsi sa déléguée générale. Une solution serait de travailler avec des ONG et des institutions internationales basées dans le pays concerné.
François Pargny
*Le rapport est téléchargeable sur le site de la Commission, cliquez sur : Report on the Generalised Scheme of Preferences covering the period 2016-2017
** Tous secteurs confondus, les préférences tarifaires octroyées de façon unilatérale par l’UE ont généré 62,6 milliards d’euros (Mds EUR) de vente à l’entrée dans l’UE en 2016, dont 31,6 Mds EUR pour les pays sous régime général (dont 53 % pour l’Inde et 23 % pour le Vietnam, qui va, cependant, sortir du régime en raison de son accord de libre-échange avec l’UE), 7,5 Mds EUR pour les États bénéficiaires du SGP+ (dont 74 % pour le Pakistan) et 23,5 Mds EUR pour les nations avec un système EBA (dont 66 % pour le Bangladesh).
S’agissant des pays sous EBA, l’UIT soutient la proposition de résolution commune du Parlement européen, en date du 13 décembre 2017, dans laquelle les députés demandent que « les préférences tarifaires dont bénéficie le Cambodge lui soient temporairement retirées », au motif d’une mise en coupe de la vie politique, avec notamment des « arrestations d’opposants politiques, de militants des droits de l’homme et de représentants de la société civile » et la dissolution du principal parti d’opposition. Avec un montant de trois Mds EUR en 2017, le Cambodge est le cinquième fournisseur d’habillement de l’UE.
Pour prolonger :
–Textile / CETA : l’Union des industriels français se réjouit de l’accord UE-Canada
– États-Unis / Commerce : l’Europe vent debout contre les surtaxes sur l’acier et l’aluminium
– Algérie / Commerce : l’autorisation de libre circulation, casse-tête pour les exportateurs
– Enquête : Où exporter en 2018 ? Algérie, Allemagne, Argentine, Indonésie…
– UE / Commerce : les accords de libre-échange sous-exploités par les entreprises
– UE / Commerce : le droit du travail perturbe le calendrier du libre-échange
– UE / Commerce : les chantiers prioritaires de la Commission en 2018