Le Moci. Quand on pense à Chypre, deux idées viennent à l’esprit : un environnement des affaires très propice et une économie focalisée sur les services.
Manthos Mavrommatis. Nous sommes un petit pays de moins de 1 million d’habitants qui a ancré son développement économique sur l’attraction d’entreprises étrangères grâce à une fiscalité avantageuse et à une offre de services adaptés dans les secteurs du transport maritime et des services financiers. Notre économie repose sur les services : qu’ils s’adressent aux entreprises, comme les banques d’affaires, ou aux particuliers. Je pense au tourisme, mais aussi à la santé ou à l’éducation, deux secteurs qui sont en pleine expansion. Les services constituent 80 % du PIB et 7 milliards d’euros à l’export, contre 500 millions pour les marchandises. Le fait d’être membre de l’Union européenne et de la zone euro, la bonne qualité des infrastructures et de la formation des employés chypriotes sont également des atouts. Par ailleurs, à Chypre, faire des affaires, avoir sa propre entreprise est quelque chose de très valorisé dans la mentalité locale. Nous avons un long passé de peuple commerçant.
Le Moci. L’autre particularité de l’île est d’être coupée en deux depuis 1974. Y a-t-il des flux commerciaux entre les deux parties de l’île ?
Manthos Mavrommatis. Tout d’abord, je tiens à dire que la CCI entretient des liens avec la chambre de commerce et d’industrie de la partie nord. Nous nous parlons, nous échangeons. Les flux commerciaux sont modestes, de l’ordre de 5 à 6 millions d’euros par an. Les produits qui viennent de la partie nord concernent essentiellement des matériaux de construction et des produits de l’industrie légère. Certains produits agricoles aussi, comme des fruits et des légumes, mais pas de produits laitiers, par exemple. Ils font l’objet de restrictions de la part de l’Union européenne. En fait, les règles européennes s’appliquent à ces marchandises. Je crois qu’une réunification de l’île profiterait à l’économie du pays, mais la solution à cette séparation et à la reprise d’échanges commerciaux est essentiellement d’ordre politique. Et, pour l’instant, nous en sommes au stade des négociations.
Le Moci. La situation géographique de l’île est avantageuse, entre Europe, Turquie et Moyen-Orient. Ces deux facteurs poussent-ils les entreprises étrangères à se servir de l’île comme d’une plateforme ?
Manthos Mavrommatis. À la CCI, qui compte 9 000 membres*, nous voyons de plus en plus d’entreprises américaines et européennes qui viennent s’enregistrer à Chypre pour investir ensuite en Russie, essentiellement dans les secteurs de l’énergie et des minerais. Mais pas seulement. Certaines investissent dans la distribution, en dehors de Moscou et de Saint-Pétersbourg. La fiscalité y est pour beaucoup, mais elles estiment aussi que l’environnement des affaires à Chypre est plus rassurant que celui de la Russie ou d’autres pays d’Europe de l’Est. Concernant les entreprises étrangères qui viennent ici pour rayonner sur les marchés du Moyen-Orient, leurs motivations ne sont pas d’ordre fiscal, mais sécuritaire. Dans une région où la situation est aussi volatile, Chypre est un endroit sûr et à seulement 20 minutes de Beyrouth en avion. De plus en plus d’entreprises russes, ukrainiennes ou d’autres pays de l’Est viennent à Chypre. Il y a peu, l’île était même le premier investisseur direct étranger en Russie. Aujourd’hui, elle est au troisième ou quatrième rang et les entreprises russes viennent davantage utiliser Chypre comme porte d’entrée sur le marché européen.
Propos recueillis par Sophie Creusillet
* Contrairement aux CCI françaises, l’inscription à la CCI de Chypre n’est pas obligatoire.