Depuis plusieurs mois, les dispositions réglementaires prises par l’Algérie pour réduire le montant de ses importations suscitent inquiétudes et interrogations parmi les exportateurs de l’Hexagone. Après une première réunion organisée il y a un mois par la Chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France (CCIP IdF) sur la suspension temporaire de 851 produits*, la CCIP IdF s’est résolue, tant les remontées du terrain étaient importantes, à proposer un deuxième atelier technique, le 15 février, sobrement intitulé « appréhender le marché algérien ». Avec au programme la mise en pratique de la toute dernière réglementation sur « l’autorisation de libre circulation des produits ».
Signe de l’intérêt du sujet alors que la France est le deuxième pays fournisseur de l’Algérie et que cette dernière est le 18ème client de l’Hexagone, environ 80 entreprises étaient inscrites à cette réunion très animée, à laquelle participaient plusieurs acteurs de la scène économique algérienne, en l’occurrence, Reda El Baki, le directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie franco-algérienne (CCIAF), Mohamed Nazim Bessaïh, directeur Global Transaction Banking de Société Générale Algérie, et Ramzi Ouali, associé, directeur général de KPMG Algérie, et le responsable du département des Facilitations du commerce extérieur à la CCIP IdF, Luc Dardaud.
La CCIP IdF se propose comme « autorité administrative »
Pour toutes ces sociétés, petites et moyennes, il s’agissait d’obtenir des précisions sur la nouvelle réglementation appliquée aux produits vendus en l’état sur le territoire algérien (en dehors des 851 produits qui sont, eux, interdits d’entrée provisoirement). Pour tous ces biens commercialisés sans valeur ajoutée, il est en effet demandé une autorisation de libre circulation dans le pays d’origine ou de provenance, devant être visée par une autorité reconnue.
Première difficulté, qui n’était pas la plus difficile à résoudre, l’autorité devant attester que les marchandises à importer en Algérie sont des biens librement commercialisés dans l’Hexagone n’était pas désignée. « Le ministère du Commerce disait que ce devait être une autorité administrative, mais rien de plus. Et donc ça pouvait être autant un cluster qu’une CCI », a relaté Reda El Baki. « Il se trouve que nous avons échangé entre Chambres d’une quinzaine de pays européens et que la CCIP Ile-de-France a proposé en France de viser les autorisations de circulation », a complété Luc Dardaud.
L’offre de service de la compagnie consulaire a été acceptée côté algérien, ce qui peut paraître surprenant, car la CCIP IdF appose son visa sur des produits dont elle n’a pas la capacité de vérifier la réalité et la qualité. Mais dans la mesure où les laboratoires spécialisés ou sociétés de contrôle, type Bureau Veritas, ont été exclus, n’étant pas des autorités administratives, les alternatives étaient limitées.
Deuxième difficulté, et qui n’est toujours pas résolue à ce jour, quel texte faire figurer sur cette autorisation ? À cause de ce détail, Le Moci a pu constater que des exportateurs chevronnés, familiers de l’Algérie, rencontraient de réelles difficultés à boucler leurs opérations. Et pour cause, l’État algérien s’est limité à une disposition d’ordre général, sans apporter de précision à ce sujet.
Du coup, les exportateurs et les banquiers, sollicités pour domicilier les opérations, improvisent. Si l’on en croit Mohamed Nazim Bessaïh, la solution existe : il faut présenter un document sur lequel la CCIP IdF vise directement « la libre circulation du produit en France ». En revanche, si la CCIP IdF vise « l’attestation » faite par l’entreprise exportatrice, le document sera refusé. Un détail peut-être, mais l’Administration algérienne est très formaliste.
La PME Bag2Pack fournit une attestation
Après la présentation du représentant de la Société Générale, on pouvait penser l’affaire entendue et surtout éclaircie. En réalité, il n’en était rien. A l’encontre de ce que venait d’affirmer Mohamed Nazim Bessaïh, deux exportateurs présents dans la salle ont témoigner d’une expérience diamétralement opposée. L’un et l’autre ont, en effet, indiqué avoir rédigé une attestation. Et surtout, le document, visé par la compagnie consulaire francilienne, aurait ensuite été accepté par leurs banques respectives, en l’occurrence, la banque algérienne privée Al Baraka et la filiale locale du groupe français Natixis.
Directeur commercial de Bag2Pack, un fabricant de machines de conditionnement de liquides à Villejuif, Daniel Pouyleau a ainsi expérimenté tout récemment ce dispositif avec succès. Ce fin connaisseur de l’Algérie a réalisé une remise documentaire, avec domiciliation de la facture chez Natixis, dans le cadre de la livraison de pièces de rechange à son client, la Laiterie DBK (Draa Ben Khedda), entité de production privatisée du Groupe industriel des productions laitières (Giplait). « Comme il nous était demandé une attestation, je l’ai rédigée d’après le modèle transmis par la CCI de Paris Ile-de-France qui l’a ensuite visée. Le document a été accepté par la banque », a ainsi relaté Daniel Pouyleau.
Deux conclusions, deux scenarii
De la présentation du responsable de la Société Générale et des témoignages des exportateurs français présents dans la salle, deux conclusions semblent s’imposer :
– La première est que faute d’instructions précises des autorités algériennes, les banques algériennes adoptent leur propre pratique.
– La seconde est que la CCIP IdF s’adapte en fonction des demandes des exportateurs.
À la fin l’atelier de la CCI Paris Ile-de-France, deux scenarii étaient envisagés :
1/ Celui avancé par les plus optimistes, qui pensent que la situation est appelée à évoluer. Ils s’attendent en particulier à ce que les banques en Algérie accordent leur violon et surtout s’entendent avec l’Administration locale. Il faudra sans doute encore patienter le temps que l’Autorité bancaire en Algérie dégage une règle commune. En attendant, le flou persistera et l’adaptation au cas par cas risque de l’emporter.
2/ Celle avancée par les plus pessimistes, qui pensent que cette situation pourrait s’éterniser. Selon eux, le désordre, associé aux contraintes administratives, sert certains objectifs que le gouvernement a clairement affichés depuis l’instauration de licences d’importation il y a deux ans : rééquilibrer la balance commerciale fortement déficitaire en limitant les approvisionnements extérieurs ; protéger les fabrications locales ; et inciter les étrangers à s’implanter sur place pour y produire.
Des verrous aux importations pour réduire la facture
Récemment, le ministre du Commerce, Mohammed Benmeradi, s’est félicité que le système des licences d’importations ait permis d’économiser 5,4 milliards de dollars, dont trois milliards en 2016 et 2,4 milliards l’an dernier. Pour autant, comme « il avait montré ses limites », selon le ministre, ont été instaurées d’autres mesures, comme la suspension temporaire d’importation de 851 biens ou encore l’augmentation de droits de douane sur 129 produits finis.
Aujourd’hui, les plus optimistes estiment que si la balance commerciale continue à s’améliorer, le gouvernement pourrait revenir sur certaines dispositions, notamment sur l’obligation de produire un certificat de libre circulation de la marchandise sur le territoire d’origine.
Les Douanes algériennes viennent de révéler que le déficit des échanges a reculé de 62 % en janvier 2018 par rapport à janvier 2017, pour atteindre -410 millions de dollars. Outre la remontée des cours des hydrocarbures, qui aurait favorisé les exportations, les importations auraient baissé de 7 %, soit une économie de 276 millions de dollars. Une bonne nouvelle pour l’Algérie. Mais sans doute insuffisante pour faire sauter les nouveaux verrous qui freinent les importations.
François Pargny
*Algérie / Commerce : nouvelles restrictions aux importations pour doper la production locale
Pour prolonger :
– France / Algérie : P. Gattaz veut promouvoir à Alger un «partenariat gagnant-gagnant»
– Enquête : Où exporter en 2018 ? Algérie, Allemagne, Argentine, Indonésie…
– France / Algérie : trois accords industriels signés à Alger avant la visite d’E. Macron
– Algérie / Export : la France peine à exporter plus, mais investit fort