Selon l’étude « European Payment Index 2011 », si la reprise économique du continent est en marche, les pertes sur créances irrécouvrables atteignent des niveaux préoccupants. Et l’évolution des délais de paiement affiche de fortes disparités. Point sur les bons et les mauvais élèves européens en matière de comportements de paiement au niveau des particuliers, des entreprises et des services publics.
Les difficultés économiques de l’Europe sont loin d’être terminées, malgré la bonne reprise de l’Allemagne et des pays nordiques, rappelle la septième édition de l’étude European Payment Index du spécialiste de la gestion du poste client Intrum Justitia, présentée le 14 juin à Paris lors d’un petit-déjeuner organisé par l’Association française des credit managers et conseils (AFDCC). En cause : l’endettement de certains pays, mais aussi un « endettement caché », lié au paiement tardif, voire à l’absence de paiement des factures de biens et services, qui s’est répandu dans toute l’Europe « à des niveaux jamais atteints jusqu’ici », souligne cette enquête, menée entre le 15 janvier et le 30 mars dernier dans 25 pays européens. Sa spécificité est d’interroger les entreprises qui s’adressent à tous types de clients : particuliers, entreprises et secteur public.
La mauvaise nouvelle de l’année réside notamment dans la progression des pertes sur créances irrécouvrables, a expliqué à cette occasion Anne Wiliart, directrice générale d’Intrum Justitia France : 312 milliards d’euros ont été passés en pertes en 2010. Ce qui représente, en cumul sur les cinq dernières années, une somme « colossale » de 1 300 milliards d’euros, note l’étude.
Le taux de pertes moyen en Europe ne cesse d’augmenter depuis six ans, pour s’établir, en 2011, à 2,7 %. Une tendance liée à la hausse des faillites : plus de 220 000 défaillances d’entreprises ont eu lieu l’an dernier, soit + 30 % comparé à 2009. Tous les pays européens ne sont cependant pas logés à la même enseigne. Le taux moyen de pertes se trouve pénalisé par certains taux jugés alarmants, comme celui de la Grèce ou du Royaume-Uni.
Plus globalement, l’enquête analyse 21 indicateurs tels que les données financières des entreprises, les délais contractuels de paiement, les retards… Elle établit un « Risk Index » allant de 100 (absence totale de risque), jusqu’à plus de 170. La cartographie 2011 révèle que les quatre pays les plus à risque sont la Grèce, le Portugal, Chypre et la République tchèque. Quant aux partenaires européens commerciaux les plus importants de l’Hexagone, beaucoup ont vu leur indice de risque se dégrader, à l’instar de l’Espagne, de l’Italie ou du Royaume-Uni ; celui de la Belgique est resté stable, tandis qu’outre-Rhin, il s’améliore. Au total, les risques d’impayés se sont accrus pour treize pays et se sont réduits pour sept États par rapport à l’an dernier. Seule la Finlande « reste sur les zones de risque quasi-inexistantes », a indiqué Anne Williart.
En matière plus particulièrement de délais de paiement, après une embellie en 2010, ceux-ci sont repartis à la hausse. En moyenne, au niveau des particuliers et des entreprises, ils se sont allongés d’un jour. Quant au secteur public, il paye en moyenne avec deux jours de plus par rapport à un an plus tôt. Si le délai effectif moyen de paiement est désormais de 40 jours au niveau des particuliers, de 56 jours pour les entreprises et de 65 jours côté secteur public, en réalité, les écarts révèlent une Europe à plusieurs vitesses. Globalement, deux catégories de pays se démarquent, a résumé Emmanuel Halamek, responsable de recouvrement international chez Intrum Justitia, les mauvais et les bons.
D’une part, certains pays d’Europe du Sud et le Royaume-Uni dégradent fortement le comportement de paiement.
• En Grèce, les délais et retards de règlement sont en hausse sur tous les postes, notamment du côté des services publics (délai effectif moyen de 168 jours ; 110 jours au niveau des entreprises, 61 pour les particuliers). Tout comme le taux de pertes, qui grimpe à 4,9 %, après 3 % en 2010.
• Le Portugal se démarque avec un taux de pertes élevé (3,2 %), ainsi que des délais effectifs moyens (particuliers : 64 jours, entreprises : 92, secteur public : 139 jours) et les retards de règlement en hausse.
• Au Royaume-Uni, si les délais moyens de règlement (délais effectifs B-to-C : 44 jours, B-to-B : 46, services publics : 47) ne sont pas comparables à ceux de la Grèce ou du Portugal, le passage en pertes monte en flèche (3,2 %, après 2,4 % en 2010), et les retards augmentent au niveau des particuliers.
• En Espagne également, le taux de pertes (2,7 %) est en progression. L’État a un délai effectif de paiement en moyenne de 153 jours, les entreprises de 99 et les particuliers de 68 jours.
D’autre part, les bons élèves relèvent le niveau.
• La Finlande a historiquement des délais de règlement très réduits (délais effectifs moyens B-to-C : 17, B-to-B : 27, État : 24), tandis que les retards sont stables.
• En Allemagne, les particuliers et l’État règlent un peu plus vite que l’année précédente (respectivement 24 et 35 jours en moyenne pour les délais effectifs), mais les entreprises ralentissent les paiements (37 jours). Le taux de pertes recule à 2,4 %.
• La Suisse améliore ses retards de paiement, et ce d’un jour au niveau des particuliers et de l’État, de deux jours côté entreprises. Le délai effectif moyen de paiement y varie entre 35 jours et 45 jours.
• En France, enfin, le taux de pertes diminue à 2 % et les délais effectifs se réduisent pour les particuliers et le
secteur public. Pour les transactions commerciales, ils restent stables. Mais le retard augmente pour les particuliers.
Autre enseignement de l’étude, seuls 28 % des sondés étaient conscients que le Parlement européen avait approuvé une nouvelle directive visant à réduire les retards de paiement pour les créances commerciales.
La nouvelle directive européenne en matière de délais de paiement devra être transposée par les États avant le 16 mars 2013. Elle propose que « les paiements doivent se faire dans un délai maximum de 60 jours, mais des délais plus longs peuvent être accordés s’ils ne représentent pas un abus manifeste du créancier », a expliqué Valérie Collot, vice-présidente international de l’AFDCC. Elle prévoit également une facturation forfaitaire pour frais de recouvrement interne de 40 euros. Cette nouvelle directive n’apportera cependant pas grand-chose aux cocontractants déjà soumis au droit français via la LME [ndrl : loi de modernisation de l’économie], a estimé Valérie Collot. Autre problème soulevé, « la nouvelle directive suggère, mais ne contraint pas ».
Nataša Laporte
Recouvrement judiciaire Les frais plus élevés en Angleterre qu’en France
Les frais de recouvrement judiciaire des impayés sont « entre deux et cinq fois plus élevés en Angleterre qu’en France », indique au Moci Denis Le Bossé, président du cabinet ARC, spécialiste du recouvrement de créances commerciales et partenaire d’une rencontre franco-anglaise sur les procédures juridiques dans les deux pays, organisée le 26 mai dernier à Paris par l’AFDCC.
Autre différence majeure entre les procédures française et anglaise : « Les Anglais ne signifient pas les assignations ou les jugements par voie d’huissier, mais procèdent par voie de notification. L’inconvénient est que le destinataire peut ne pas retirer l’acte ainsi notifié, ce qui complique l’obtention d’une décision de justice », précise-t-il. La spécificité hexagonale en matière de recouvrement judiciaire réside quant à elle dans l’existence des tribunaux de commerce et des mesures conservatoires.
Dans tous les cas, les lois qui s’appliquent sont celles prévues par le contrat. « Il est préférable pour une entreprise française d’obtenir dans le contrat une clause de juridiction en France », estime Denis Le Bossé.
La raison ? « L’insertion dans le contrat international d’une clause attributive de compétence territoriale au profit d’une juridiction française permet de soumettre tout éventuel litige issu de l’interprétation ou de l’exécution du contrat aux tribunaux français. Ainsi est écartée la difficulté de voir le dossier porté devant une juridiction étrangère appliquant des règles de procédure inconnues et peut-être désavantageuses par rapport aux nôtres. »
N. L.