Le parcours des huit championnes de l’export que nous avons distinguées en 2017 le montre : se développer à l’international dans la durée est source de croissance et d’innovation. Pourquoi alors si peu d’entreprises françaises, en comparaison de l’Allemagne ou de l’Italie, intègrent-elles cet objectif dans leur stratégie ?
Cette question, considérée en France comme une clé pour résoudre les problèmes de commerce extérieur, se pose année après année depuis que notre excédent a disparu, en 2005. Face à un déficit commercial abyssal et structurel, qui plombe désormais une balance des paiements que l’euro nous a fait oublier, le nouveau gouvernement s’est fixé comme objectif de quasiment doubler le nombre d’entreprises exportatrices de biens sous le quinquennat, à 200 000 au lieu de 124 300 actuellement. Il mise sur une stratégie de redressement de la compétitivité globale et sur la mise en place, en 2018, d’une nouvelle politique de soutien à l’entreprise dont l’internationalisation sera un volet. Mais ce chantier sera de longue haleine.
Dans ce dossier, nous passons en revue certains éléments du diagnostic de ce « mal français » qu’est le déficit, sondons l’économiste Stéphan Bourcieu sur les vraies raisons du manque d’appétence de la France pour l’export, passons en revue les forces et faiblesses de l’appareil exportateur et explorons les promesses de nouvelles approches en matière d’accompagnement des entreprises à l’international.
Déficit commercial : après le choc, la prise de conscience
Cocorico ! Airbus vient de décrocher la plus importante commande de l’histoire de l’aéronautique : 430 moyens-courriers A320 Neo pour une valeur de 42 milliards d’euros au prix catalogue lors du dernier salon de l’aéronautique de Dubaï. Mieux, le contrat a été signé par une société… américaine, le loueur Indigo, dans la patrie de Donald Trump. Une belle performance pour la « French Fab », la nouvelle marque ombrelle, à l’international, de l’industrie française. Car même si Airbus est d’abord un industriel européen, la France en est un pilier majeur, avec l’Allemagne, une preuve éclatante que l’industrie tricolore, si elle a souffert ces dernières années, tombant à 11 % du PIB, n’a pas dit son dernier mot.
Car à force de ne se focaliser que sur le déficit commercial structurel et désormais abyssal, on en oublierait les secteurs qui continuent à performer à l’export. Et dans l’aéronautique, aux côtés d’Airbus, il y a d’autres fleurons comme Dassault Aviation ou le franco-italien ATR, qui sont les têtes de pont de filières qui font travailler des centaines de PME sous-traitantes. Mais l’aéronautique, premier excédent commercial tricolore, n’est pas la seule filière à sortir la tête de l’eau. Au premier semestre 2017, la quasi-totalité des secteurs industriels ont progressé à l’export : machines (+ 1,7 % ), l’automobile (+ 1,3 %, 8e trimestre consécutif de hausse des exportations), les produits de luxe (les exportations de parfums et cosmétiques, notamment, battent des records chaque semestre depuis 3 ans !), produits pharmaceutiques (nouveau montant record avec 14,9 Mds EUR au premier semestre 2017 !), industries agroalimentaires (+ 3,5 %)…
Mais rien n’y fait, la vigueur de nos approvisionnements est toujours plus forte. Sacrés importations !
Graphique sur l’évolution des échanges de biens
Quand la France va mieux au plan économique, elle importe plus, en tout cas actuellement, plus vite et plus fort qu’elle n’exporte. C’est le cas puisque la croissance est en train d’accélérer (+ 1,8 % anticipé en 2017 par l’Insee, après + 1,1 % en 2016). Dans un point de conjoncture publié le 5 octobre, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) prévoyait que les importations augmenteront d’ici la fin de l’année 2017 de 3,9 % (après déjà +4,2 % en 2016), alors que les exportations, elles, accéléreront seulement de 3,3 % (après +1,9 % l’année précédente).
La reprise de l’investissement explique ce fort rebond des approvisionnements extérieurs. Les entreprises ayant reconstitué leurs marges, elles investissent, elles importent plus, en particulier des biens d’équipement et du matériel électronique que ne fabrique pas la France. D’après l’Insee, les chefs d’entreprise prévoient ainsi d’accroître leurs dépenses d’investissement de 3,9 % en 2017 après +3,4 % en 2016. Et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle pour l’avenir.
Consensus sur le diagnostic du manque de compétitivité
Mais c’est une mauvaise nouvelle pour l’équilibre du commerce extérieur : devenu structurel, le déficit des échanges de biens, après plusieurs années de réduction grâce à la chute de la facture énergétique (à l’import) et à la faiblesse de l’euro (à l’export) est reparti à la hausse dès 2016. Sur douze mois à fin septembre 2017, il atteignait 60,8 milliards d’euros.
Plus grave pour le pays, les échanges de services, qui ont souffert de la chute du tourisme liée aux effets de la crise de 2008-2009 et aux attentats terroristes, ne parviennent plus à compenser ce trou : le déficit des transactions courantes a atteint -19 milliards d’euros en 2016, après -9,6 milliards d’euros en 2015, et ce malgré une forte baisse de la facture énergétique, d’environ 8 milliards (graphique sur l’évolution des échanges de biens et services).
Graphique sur l’évolution de biens et services
Quatre mois après sa nomination, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, en charge du Commerce extérieur, avait d’ailleurs anticipé ce mauvais résultat : dans une déclaration aux Échos le 20 juillet, Jean-Yves Le Drian annonçait que le déficit commercial serait plus élevé encore en 2017 qu’en 2016, où il avait atteint -48 Mds EUR, estimant que « cette situation sera d’abord corrigée du fait de l’application du programme des réformes sur lequel a été élu le président de la République », portant sur l’amélioration de la « compétitivité » et de l’attractivité du pays.
Il a raison, et il y a désormais un consensus sur ce sujet en France. Comme l’indique l’économiste Stéphan Bourcieu dans l’entretien qu’il nous a accordé (voir pages suivantes), « le déficit du commerce extérieur est surtout symptomatique de la faiblesse de notre compétitivité. C’est le seul intérêt de cet indicateur finalement ». Au tournant des années 2010, la gauche, après la droite, s’était d’ailleurs résolue à admettre que le déficit commercial était devenu un marqueur de la faiblesse de l’industrie et de la compétitivité de l’économie, ce qui avait conduit à lancer le chantier du rapport Gallois, dont le résultat avait été le Pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi de novembre 2012, à l’origine de la création du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi).
On ne part pas de rien : 5e puissance économique mondiale, la France est encore dans le top 10 des plus importants pays exportateurs mondiaux de biens et services, à la sixième place en 2016. Sa part de marché mondiale s’est stabilisée entre 2012 et 2016, après une chute ininterrompue de près de dix ans (- 2 points entre 2003 et 2012) : selon l’Insee, elle se situait autour de 3,1 % en 2016 pour les seuls échanges de biens, mais à 3,5 % pour l’ensemble des échanges de biens et services (2015) selon les chiffres du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
Le train de réformes lancé par le nouveau gouvernement, plutôt bien accueilli par les milieux d’affaires – à commencer par les lois travail, mais aussi l’innovation et la formation professionnelle –, mettra du temps à porter ses fruits, de même que la nouvelle stratégie de soutien aux entreprises que promet pour 2018 le gouvernement sous le nom de PACTE (pour plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) et qui doit donner lieu à une loi au printemps.
Une révolution culturelle à mener dans les entreprises
Reste à mener une petite révolution culturelle. « Il y a plein d’aspects dans la culture de nos dirigeants de PME qui les amènent très loin de la mondialisation et donc de la capacité à s’ouvrir à l’international » souligne encore Stéphan Bourcieu, qui détaille dans le même entretien les « six plaies d’Égypte » qui ont empêché jusqu’à présent bon nombre d’entrepreneurs français de considérer les marchés export comme des débouchés à conquérir à part entière.
Symptomatique de ce manque d’ouverture, la pratique des langues étrangères : là où les PME européennes considèrent en moyenne à 61 % que l’anglais est important pour leur activité, ce pourcentage tombe à 21 % pour les PME françaises, selon la dernière étude Eurobaromètre citée par cet économiste. Au dernier classement mondial des pays par leurs compétences en anglais d’EF EPI(1), l’Hexagone ne se classe qu’à la 32e place sur 80 pays passés en revue, les Pays-Bas étant premiers…
Graphique sur l’évolution de la part de marché de la France dans les exportations
La prise de conscience de la nécessité de s’attaquer à cet aspect culturel est récente mais de plus en plus évoquée dans les réflexions sur les voies et moyens de redresser la barre. Dans son ouvrage « L’export est l’avenir de la France »(2), publié entre les deux tours de la dernière élection présidentielle, Étienne Vauchez, le président de l’OSCI, ne parle d’ailleurs que de ça. Il affirme notamment haut et fort, à contre-courant de la sinistrose qui plombe bien souvent les débats sur le commerce extérieur, que « bien sûr qu’on peut tout à fait réussir à l’export et profiter de la mondialisation avec des salaires élevés et une devise forte ». Donnant l’exemple de la Suisse et de son « excédent commercial colossal de l’ordre d’une cinquantaine de milliards », il affirme que « l’on peut réussir nous aussi, en s’y prenant mieux et en utilisant nos propres forces ».
Certains, comme le président de la Fédération des industries mécaniques (FIM), Bruno Grandjean, appelle à une meilleure mise en valeur des réussites à l’export : « il faudrait que les exportateurs soient valorisés car ce sont les véritables champions de l’économie, or, la société française ne le fait pas ». Lui-même est à la tête d’une PME industrielle installée dans le Loiret, Redex Group, qui emploie 320 personnes et exporte plus de 90 % de son chiffre d’affaires (de l’ordre de 50 millions d’euros) et est très engagé dans le soutien aux initiatives public-privé comme l’Industrie du futur ou la « French Fab ».
Plus récemment, la banque publique Bpifrance a décidé de mettre l’international au cœur de son gros événement annuel dédié à l’entrepreneuriat, Bpi Inno Génération, qui draine plus de 30 000 participants à l’AccorHôtel Arena de Paris Bercy, des créateurs de startups aux P-dg de groupes multinationaux. Une manière de marquer son enracinement dans le domaine du financement de l’internationalisation des PME, elle qui a récupéré en début d’année la gestion des garanties publiques export jusque-là – et depuis 1946 – gérées par Coface. Un signal fort donné aux dirigeants d’entreprises après deux éditions orientées sur l’innovation et les startups.
Mettre l’export dans les radars de davantage d’entreprises ? Un chantier de long terme, qui ne fait que commencer.
Christine Gilguy
(1) Indice de compétence en anglais EF EPI, 7e édition. Sur www.ef.fr/epi/
(2) L’export est l’avenir de la France, Étienne Vauchez, édition Le Moci, avril 2017