Non seulement mon client tchèque voulait d’autres chaises, mais mon client coréen aussi.
Avec un FCA (règles Incoterms ICC 2010), je n’avais qu’à prévenir la production de l’arrivée des commandes. Ensuite, soit je chargeais le conteneur chez moi (FCA mon quai), soit j’expédiais ma semi au Havre et c’est le commissionnaire de mon client qui la déchargeait. Mon client coréen pouvait me demander davantage de chaises, je ne voyais pas vraiment la différence. C’est là que Michel m’a dit que je pourrais peut-être apporter un peu plus de service à mon client. Pourquoi pas, mais quoi ? Il voulait que je mette des rubans à mes chaises ?
En fait, ce que me proposait Michel, c’était de livrer les chaises en Corée ! J’ai d’abord pensé qu’il était malade. D’accord, je livrais des chaises en Tchéquie, mais la Corée c’est autre chose. C’est loin. Il y a la mer. Ils parlent une autre langue (d’accord en Tchéquie aussi, mais ce n’est pas pareil). Il y a un décalage horaire (d’accord, en Tchéquie aussi, mais ce n’est pas pareil, c’est moins).
Michel m’a expliqué que charger une semi pour la Tchéquie ou charger un conteneur pour la Corée, justement, c’était pareil. On faisait un appel d’offres auprès de commissionnaires de transport qui « font la Corée », après avoir écrit un cahier des charges. J’avais déjà entendu ça quelque part.
D’abord, il fallait s’assurer que le client était d’accord. Dans mon cas, l’idée lui a plu. Je pensais bien que, si je livrais en Corée, on ne pouvait pas garder le FCA puisqu’avec un FCA, moi, j’arrêtais de m’occuper de la marchandise en France. Comme s’il avait compris à quoi je pensais, Michel a commencé à m’en parler.
4.2.1 Passer de FCA à DAP
En FCA, je m’occupe de la marchandise jusqu’à ce que je la remette au commissionnaire de mon client, en France. Si je veux m’occuper de mes chaises jusqu’en Corée, il faut passer à une autre règle Incoterm ICC 2010 : le DAP. Avec un DAP, je m’occupe de l’organisation du transport jusqu’en Corée, au port de Busan, je paie le transport et je supporte le risque sur la marchandise. C’est-à-dire que s’il y a un dommage ou une perte, c’est moi qui devrais m’en occuper.
Puisque mon client était d’accord, il restait deux points à voir :
• vérifier que la règle Incoterm ICC 2010 et le crédoc ne sont pas en contradiction ;
• combien j’allais lui facturer.
Je devais demander au client de modifier le crédoc.
Trois rubriques sont concernées :
• la rubrique 44C et la date limite d’expédition ;
• la rubrique 45A et la règle Incoterm ICC 2010 ;
• la rubrique 46A et les documents que je devrais produire.
• 44C et date limite d’expédition
Il faut garder cette date et ne pas confondre la date d’expédition et la date de livraison de la marchandise en Corée.
La date d’expédition est la date de remise à la compagnie maritime. Elle est matérialisée par le titre de transport par voie maritime. Ça s’appelle un connaissement maritime (Bill of Lading, B/L, en anglais). Voir exemple de Bill of lading page 2 du PDF en bas de page.
• 45A et la règle Incoterm ICC 2010
Il faut changer aussi la règle Incoterm et écrire : DAP, règle Incoterm ICC 2010, port international de Busan, non déchargé.
Avec un crédoc, c’est la compagnie maritime qui va prévenir le destinataire. Dans le cas présent, le destinataire, c’est la banque de mon client. Alors elle va « endosser » le connaissement (comme on faisait pour les chèques, avant) à l’ordre de mon client qui pourra aller chercher le conteneur. S’il ne veut pas aller chercher le conteneur, il « endosse » le connaissement à l’ordre de son commissionnaire de transport qui ira chercher le conteneur pour lui.
• 46A et les documents que je devrai produire
Dès que ma marchandise est partie, le connaissement établi par la compagnie maritime me revient en double exemplaire. Michel m’a bien précisé qu’il fallait que je demande un connaissement négociable, avec la banque de mon client comme destinataire (consignee en anglais) et mon client en notify (en anglais dans le texte). C’est ce document qu’il faut que je donne pour le crédoc. Si on prenait en compte la date de livraison en Corée, cela retarderait le paiement de près d’un mois.
Repère
« Consignee » et « notify »
Ou destinataire et personne à prévenir.
• Sur un connaissement maritime négociable, le consignee, destinataire, est celui qui pourra retirer la marchandise à son arrivée au port. Avec un crédoc, c’est la banque de l’acheteur.
• Le notify, c’est celui qui sera prévenu de l’arrivée de la marchandise.
Avec un crédoc, c’est le client, l’acheteur.
Toujours avec le même crédoc, la banque endossera le connaissement au profit de l’acheteur ou, en termes techniques, le consignee endossera le B/L à l’ordre du notify.
4.2.2 L’assurance en maritime
On a vu qu’en routier international, la marchandise était assurée à hauteur de 8,33 DTS/kg.
En maritime, selon les règles de La Haye-Visby (art. 4 §5), c’est 666,67 DTS le colis ou l’unité de chargement, ou 2,00 DTS le kg brut de marchandise.
Entre les deux montants, c’est le plus élevé qui s’applique.
Si on applique 666,67 DTS le colis, cela fait 666,67 DTS pour le conteneur, alors que j’y ai empoté 2 400 chaises à 25 euros, donc 60 000 euros en tout. 666,67 DTS pour 60 000 euros, ça ne va pas.
Avec 2,00 DTS le kg brut de marchandises, cela fait 40 chaises par palette, soit 40 kg, plus la palette, 15 kg, soit 55 kg par palette, par 60 palettes soit 3 300 kg par 2,00 DTS = 6 600 DTS à 1,08 euro/DTS (voir Étape 6), cela fait 7 174,20 euros pour mes 2 400 chaises sur 60 palettes dans un conteneur et qui coûtent 60 000 euros.
(www.imf.org/external/np/fin/data/ rms_mth.aspx? reportType=CVSDR).
Ça ne va pas non plus. Je vais donc continuer avec l’assurance « ad valorem ».
4.2.3 La facturation
Si je m’occupe d’envoyer mes chaises jusqu’en Corée, il va falloir que je paie pour ça.
Pour bien comprendre, j’ai choisi d’imaginer ce qui arrive à mes chaises. C’est Michel qui m’a appris ça : en transport international, pour comprendre un sujet, une question ou un problème, il faut imaginer où se trouve la marchandise, dans quel pays, dans quel port, dans quel entrepôt, chez quel prestataire, si elle est dédouanée à l’export, à l’import… Il faut essayer de la visualiser, c’est le plus pratique.
Donc, ma marchandise est dans mon usine et elle doit être empotée dans un conteneur.
Deux solutions :
• le conteneur vient à la marchandise (dans mon usine) ;
• la marchandise va au conteneur (au port).
D’après les chiffres donnés par le commissionnaire que j’ai choisi après l’appel d’offres :
• si le conteneur vient à la marchandise, il m’en coûtera 720 euros ;
• si la marchandise va au conteneur, il m’en coûtera : transport Clermont-Ferrand => entrepôts Le Havre : 410 euros ; déchargement entrepôt et empotage conteneur 0,25 euro/kg (min. 40 euros/envoi), soit 3 300 x 0,25 = 825 + 410 = 1 835 euros.
Évidemment, c’est le conteneur qui viendra à la marchandise pour 720 euros.
Il y a aussi des frais administratifs :
– frais de B/L : 30 euros ;
– frais douaniers de mise à l’exportation : 35 euros.
Arrivées là, mes chaises sont dans le conteneur, au Havre, prêtes à être chargées sur le navire. Pour les charger, comme pour les décharger, il y a des Terminal Handling Charges (THC), frais de manutention au port. THC : 809 euros/container.
Là mes chaises sont à bord, prêtes à appareiller. Hardi petites !
Pour aller jusqu’à Busan, le port de Corée, cela va me coûter 574 $ (dollars américains) pour le conteneur. Habituellement, le fret, qui correspond au transport de la marchandise du port de départ au port d’arrivée, est exprimé en dollars US, euros ou yens japonais. Ici, c’est en dollars US. En plus, il y a des « surcharges », surtout deux : la BAF et la CAF.
• La BAF, c’est la Bunker Adjustment Factor (facteur d’ajustement sur le fioul), c’est une surcharge que l’expéditeur paie pour couvrir la compagnie maritime des évolutions du montant du gazole. Elle peut aussi s’appeler IFP (Interim Fuel Participation) : 902 $/conteneur.
• La CAF, Currency Adjustment Factor (facteur d’ajustement monétaire) est une surcharge que l’expéditeur paie pour couvrir la compagnie maritime des évolutions du montant de la devise de facturation par rapport à l’euro. C’est un % sur le montant du fret et de la BAF. Sur la Corée, c’est 11,26 %.
Les surcharges peuvent, théoriquement, être négatives. Ça arrive parfois.
Ça y est, mes chaises sont arrivées à Busan, port de Corée, non déchargées, comme l’Incoterm le précisait, après environ 28 jours de traversée. Bien joué, moussaillon !