Nous avons vu dans le précédent chapitre comment, lorsqu’on est
vendeur/exportateur, sécuriser les risques de non-paiement en utilisant
diverses solutions bancaires en matière de moyens de paiement.
L’acheteur, lui, souhaite se garantir contre les risques de défaillances
du vendeur lors de l’exécution du contrat.
D’où le recours aux garanties de marché : cautions, garanties à première demande (en anglais, bonds ou guarantees). Ce sont des outils au service des acheteurs pour s’assurer que leurs fournisseurs rempliront leurs obligations contractuelles.
Ces
actes sont le plus souvent particulièrement contraignants pour le
donneur d’ordre des garanties ou cautions (l’exportateur) et les textes
imposés par certaines banques locales sont à la limite d’être abusifs
(par exemple, interdiction à une banque contre-garante de respecter une
décision d’un tribunal lui enjoignant de ne pas payer le bénéficiaire en
cas de présomption d’appel abusif…).
1.1 Les fondements juridiques à l’international
Il faut savoir qu’aucun texte de règles universellement reconnu au plan international n’est vraiment parvenu à s’imposer, malgré les efforts de la Chambre de commerce internationale (ICC), de sorte que c’est souvent le texte de la garantie qui fait la loi et que celui-ci est bien souvent imposé par l’acheteur, le bénéficiaire de la garantie.
Vers la fin des années 1960, l’ICC s’est penchée sur la création d’outils de substitution aux cautions classiques. En 1978 paraissaient les Règles uniformes pour les garanties contractuelles (RUGC), et en 1992 les Règles uniformes pour les garanties sur demande (RUGD).
À l’international, ce sont les garanties sur demande qui se sont imposées. Le cadre juridique français a dû lui-même s’adapter à cette réalité.
Check-list des textes de référence
Voici, pour mémoire, les différents textes internationaux existant à ce jour sur les garanties :
– Garanties contractuelles (ICC, publication 325, 1978) ;
– Garanties sur demande (ICC, publication 458, 1992) ;
– Contract Bonds (ICC publication 524, 1995) ;
– Convention des Nations unies sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit standby (1997) ; ISP 98 (ICC, publication 590, 1998) ;
– Règles uniformes pour les garanties sur demande, RUGD (version révisée, ICC, publication 758, 2010). En anglais : URGD (Uniform Rules for Demand Guarantees) 2010, ICC EF 758.
1.2 Le cadre juridique français
Ces techniques sont à regrouper dans un ensemble plus global : les sûretés, définies en France dans le code civil, Livre 4, titre 1er, « Des sûretés personnelles », articles 2287 à 2322.
Il existe différents types de sûreté.
On distingue traditionnellement en France :
– Le cautionnement simple : cet engagement confère à la caution le bénéfice de discussion et le bénéfice de division. Le bénéfice de discussion est le droit pour la caution d’exiger que le créancier poursuive d’abord le débiteur principal. Le bénéfice de division est le droit pour chacune des cautions d’un même débiteur, pour une même dette, d’exiger que le créancier divise son action et la réduise à la part et proportion de chaque caution ;
– Le cautionnement solidaire : cet engagement ne confère à la caution ni le bénéfice de discussion ni le bénéfice de division ;
– La garantie autonome : la garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues (article 2321) ;
– La lettre d’intention (appelée aussi lettre de confort) : La lettre d’intention est l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier (article 2322).
Voir ci-dessous en PDF les différences entre caution et garantie à première demande
À noter qu’en France, en matière de marchés publics, le législateur a compris l’intérêt, du point de vue de l’acheteur et/ou du créancier, et depuis près de 15 ans, privilégie les garanties à première demande par rapport aux cautions. Pour preuve l’article 102 du Code des marchés publics :
« La retenue de garantie peut être remplacée au gré du titulaire par une garantie à première demande ou, si le pouvoir adjudicateur ne s’y oppose pas, par une caution personnelle et solidaire. »
Les émetteurs de cautions et garanties confondent souvent les intitulés de ces différents outils. À l’international, en cas de litige devant les tribunaux français, il y a un risque élevé de requalification. Dans un arrêt de la Cour de cassation (13/12/1994) le rapporteur, citant André Prum (auteur de Les garanties sur demande, Litec 1994) suggérait que : « S’il y a doute sur la nature de la garantie, il y a lieu de préférer la qualification de garantie indépendante dans le contexte du commerce international parce que la pratique du commerce international n’a jamais été de délivrer des cautionnements. »
Il en résulte, comme nous l’avons indiqué plus haut, que la grande majorité des « cautions » délivrées par les banques dans les opérations de commerce international sont en fait des garanties indépendantes ou sur demande. Notons enfin que dans les pays du Maghreb, la garantie autonome n’existe pas dans l’arsenal juridique, mais les établissements bancaires émettent des cautions personnelles et solidaires avec engagement du garant de « payer irrévocablement et à première demande, sans soulever de contestation pour quelque motif que ce soit ».
Repère
Définition d’une garantie à première demande
On l’appelle aussi garantie sur demande, autonome ou encore indépendante. Quel que soit son nom, le principe est le même : elle est indépendante du contrat commercial.
Lors de l’introduction de cette nouvelle mesure, en 1998, dans le code des marchés publics, la notice CERFA expliquait le mécanisme de la garantie sur demande : « Cependant la garantie à première demande est plus protectrice pour le créancier que la caution car, comme son nom l’indique, le garant est tenu de payer à première demande. Cette garantie est dite autonome par rapport à la dette principale, ce qui protège le créancier contre les contestations du titulaire, alors que, dans le cas d’une caution, même solidaire, la caution peut soulever les mêmes contestations que le débiteur principal, ce qui affaiblit de beaucoup son intérêt. ». Sans commentaire…
1.3 Schémas d’émission
On distingue les garanties reçues (garanties de bonne fin du respect d’une obligation, le plus souvent de paiement) et les garanties données (garanties de marché).
On distingue par ailleurs les garanties directes, émises par la banque de l’exportateur, des garanties indirectes, émises par une banque locale et contre-garanties par une banque de l’exportateur (voir ci-dessous en PDF les 2 schémas).
Il est évident que nous privilégions, pour l’exportateur, la délivrance de garanties directes. En cas de mise en jeu, il pourra plus facilement essayer d’empêcher le paiement des fonds au bénéficiaire, par une intervention auprès du tribunal. Cette démarche s’avérera plus problématique dans le cas de caution (ou garantie) indirecte. En effet dans ce cas, il s’agira d’un engagement émis par une banque locale, du pays de l’importateur et l’action devant un tribunal sera plus problématique.
Mais les pratiques du commerce international ne suivent pas cette logique : une majorité de pays exigent en effet systématiquement une caution ou une garantie émise par une banque locale, au moins pour les marchés publics. Et, de plus en plus, les marchés privés sont calqués sur les marchés publics.
Dans le cadre de la garantie indirecte (graphique ci-dessous en PDF), qui implique l’intervention d’une banque locale, les conséquences plutôt négatives sont nombreuses pour l’exportateur :
– des coûts supplémentaires ;
– des délais d’émission plus longs ;
– des textes souvent très contraignants ;
– des clauses « proroger ou payer » (extend or pay) qui retardent l’extinction de la garantie ;
– des difficultés plus grandes pour l’obtention de la mainlevée.
Le conseil de Jean-Claude
La chronologie d’une caution ou d’une garantie est la suivante :
1/ date d’émission ;
2/ date d’entrée en vigueur ;
3/ date d’expiration ;
4/ date de main levée.
Voici ce que nous recommandons :
– retarder l’entrée en vigueur le plus possible ;
– lier la mainlevée au moment ou à la date d’expiration de la garantie (mainlevée automatique).
Attention, voici les événements éventuels qui peuvent survenir durant la période de validité de la garantie :
– modification du texte de la garantie ;
– augmentation du montant ;
– réduction du montant ;
– prorogation de la validité.
1.4 La place des garanties dans le déroulement d’un appel d’offres et du contrat
La garantie de soumission
(Tender guarantee, bid guarantee, tender bond, bid bond)
La garantie de soumission peut être demandée, dans le cadre d’un appel d’offres, au moment de la soumission.
Elle garantit le sérieux financier de l’offre.
C’est un engagement bancaire de payer une indemnité à l’importateur, si le vendeur retire son offre pendant la période d’offres ou refuse ou n’est plus en mesure de signer le contrat dans les termes de son offre.
Montant : soit un pourcentage de 1,5 à 3 % du montant de l’offre soit, de plus en plus souvent, un montant forfaitaire.
Le conseil de Jean-Claude
Retardez l’entrée en vigueur de la garantie de soumission à l’ouverture des plis. Essayez de lier sa mainlevée :
– soit à l’entrée en vigueur du contrat si l’entreprise a été retenue ;
– soit à l’émission d’une garantie de bonne fin d’exécution, si celle-ci est prévue dans le texte de la garantie de soumission ;
– soit à l’attribution du marché à un autre soumissionnaire ;
– ou encore à un délai calendaire lié à l’expiration de la période de validité des offres.
La garantie de restitution d’acompte
(Down payment ou advance payment guarantee)
Elle garantit l’acheteur qui a accepté de verser un acompte à la commande à son fournisseur contre le non-respect des obligations du vendeur.
Elle permet aussi à l’exportateur de négocier plus facilement des acomptes pour l’entrée en vigueur des contrats et pendant leur exécution.
En droit français, on distingue les avances et les acomptes.
En pays francophones, dans la majorité des droits étrangers, avec de rares exceptions dans les marchés publics, on parle indistinctement d’avance ou d’acompte.
Dans les pays anglophones, on parle indistinctement de down payment ou d’advance payment.
Le conseil de Jean-Claude
En tant qu’exportateur/fournisseur, lier l’entrée en vigueur de la garantie de restitution d’acompte à la réception de l’acompte dans ses comptes. Prévoir des clauses de réduction au fur et à mesure des livraisons ou prestations diverses.
Exemple : « Le montant de cette garantie se réduira automatiquement en proportion de la valeur de chaque livraison, à réception par nous-mêmes des copies de la facture commerciale et du document d’expédition
y relatifs, étant entendu que nous sommes d’ores et déjà autorisés à considérer lesdites copies comme preuves concluantes que ladite livraison a bien eu lieu. »
La garantie de bonne fin d’exécution
(Performance guarantee)
C’est un engagement bancaire d’indemniser l’acheteur en cas de défaillance du vendeur dans l’exécution du contrat. Son montant est en moyenne de 10 à 15 % du montant total du contrat. Parfois 20 %, selon les contraintes locales.
Selon les cas, elle demeure valable soit jusqu’à la réception définitive (s’il n’y a pas de réception provisoire), sinon jusqu’à cette dernière.
La garantie de dispense de retenue
(Retention money guarantee)
En cas de réception provisoire et de retenue financière de 5 %, elle permet au vendeur d’encaisser la totalité du contrat sans attendre la réception définitive.
Attention, dans ce cas, au risque de ne jamais avoir la réception définitive !
À noter que la brochure bilingue de l’ICC sur la dernière version des RUGD révisée, URGD (Uniform Rules for Demand Guarantees) 2010, ICC EF 758, propose de nombreux modèles de clauses très pratiques.
Il existe aussi des modèles, proposés par exemple par l’ICC, très souvent utilisés par les banques françaises.
Hélas, dans le cadre de garanties émises par des banques locales, certaines d’entre elles ne manquent pas d’imagination pour insérer des clauses aux limites de l’abus, non négociables. Nous présentons dans les pages suivantes, quelques modèles de garanties, en français et en anglais.
Le conseil de Jean-Claude
– Pour toutes ces garanties, compte tenu du chevauchement de certaines d’entre elles, prévoir une clause interdisant l’appel cumulatif. Exemple : « La présente garantie ne pourra être appelée cumulativement avec la garantie de… ». En anglais : « The present guarantee cannot be set in action (or called) cumulatively with the bank guarantee for… »
– Autre clause utile afin de pouvoir discuter éventuellement un appel que l’on jugerait abusif : la clause de délai de grâce.
Exemple : « Copie de votre demande adressée à notre client, spécifiant la nature de sa défaillance et lui demandant d’y remédier dans un délai de… ». En anglais : « Copy of your written notice to our customer, specifying the breach of contract and requesting him to remedy it within a delay of… »
Check-list des points essentiels d’une garantie
– Les parties en présence
Donneur d’ordre (vendeur), bénéficiaire (s) (le client), banque(s).
– Date d’entrée en vigueur
Exemple : ouverture des plis, réception d’un acompte, entrée en vigueur du contrat.
– L’objet
Soumission, restitution d’acompte, etc.
– Type de garantie
Directe ou contre-garantie.
– Le montant
Toujours spécifier le montant maximum d’engagement de la banque.
– Contenu
Conditions diverses, intérêts de retard, contraintes pour le donneur d’ordres, clause de non-appel cumulatif, délai de grâce, clause de délégation, etc., force majeure.
– Conditions d’appel
Justification précise et détaillée de la défaillance du vendeur.
– Date de validité
Événements, calcul.
Attention aux clauses « proroger ou payer » (« extend or pay »)
– Conditions de mainlevée
Sollicitée ou automatique.
– Droit applicable et tribunal compétent
Dans le cadre d’une contre-garantie, ce sera le plus souvent le droit local du pays de la banque émettrice de la garantie principale.
1.5 Les principaux risques
Dans le cadre de ces opérations, le vendeur est plus particulièrement exposé aux risques liés à la non-obtention de la mainlevée, à l’appel abusif ainsi qu’aux risques associés à la clause « extend ot pay ».
« Extend or pay » (« proroger ou payer »)
Parmi les clauses à éviter, celle d’« extend or pay » (« proroger ou payer »). C’est une clause mise en jeu à la fin de la période de validité de la garantie ou du contrat. Le client exige, quelques jours avant la date limite, que le vendeur étende sa durée de validité, au risque, en cas de refus, de voir la garantie bancaire appelée (abusivement) par le client.
C’est une clause très fréquente dans les pays du Proche et du Moyen-Orient, ainsi que dans certains pays d’Asie. À sa source, l’interdiction dans certains droits locaux de mettre une date de validité à un engagement.
On attendait beaucoup de la révision des RUGD 758 de l’ICC pour la limitation dans le temps de cette clause… On est plutôt déçu par le texte de 2010, d’autant plus qu’un des articles est plus que défavorable au donneur d’ordres de la garantie, l’exportateur. Article 23 e : « Le garant ou le contre-garant peut refuser d’accorder une prorogation, même s’il reçoit les instructions de le faire, il devra alors payer ! »
Les risques liés à la mainlevée
Curieusement, de nombreuses entreprises confondent toujours la mainlevée ou annulation de la garantie (en anglais, release or cancellation) avec la validité (expiry date).
Rappelons-le une bonne fois : la date de validité est la date à partir de laquelle la garantie ne peut plus être appelée par le bénéficiaire. La mainlevée est l’annulation de la garantie dans les livres de la banque. La mainlevée peut être automatique (liée à la date de validité ou à un fait générateur), spécifié dans le texte de la garantie, ou elle peut être sollicitée. Dans ce dernier cas, l’obtention de la mainlevée auprès de la banque locale peut s’avérer être un véritable parcours du combattant !
Attention ! Conséquences de la non-obtention de la mainlevée : tant qu’elle n’est pas obtenue, les commissions sont perçues et le montant des cautions et garanties échues figure dans les engagements financiers en annexe au bilan. Le plafond de ces engagements ne diminuant pas, ceci limite les possibilités d’émission par les banques de nouvelles garanties, au risque pour l’entreprise de ne plus pouvoir répondre à des appels d’offres ou encore de lancer des appels de fonds, pénalisant ainsi sa trésorerie.
Le risque d’appel abusif
Il y a qualification d’appel abusif lorsque le donneur d’ordre a rempli ses obligations et que néanmoins le bénéficiaire appelle le garant en paiement.
Dans la pratique, l’appel abusif résulte le plus souvent du risque politique. Il s’agit dans la majorité des cas d’entreprises nationales agissant sur instructions de l’État. On constate rarement des appels abusifs dans les marchés privés mais, dans ce cas, il s’avère alors le plus souvent que c’est un « discret » appel de l’acheteur à son fournisseur pour obtenir une remise de prix.
Depuis un ou deux ans, compte tenu de la crise financière, on constate une recrudescence d’appels abusifs. En octobre 2011, une réunion s’est tenue au tribunal de commerce de Paris sur ce thème. Plusieurs participants soulignaient le côté dévoyé de l’utilisation de ces garanties en tant que mode de financement. Selon Me Serge-Antoine Tchekoff, associé du cabinet d’avocats FTPA, « leur vertu initiale était d’instaurer la confiance, elles apparaissent comme des instruments de chantage ».
Plusieurs exemples ont été présentés. Ainsi, il n’est pas rare que des États qui ont réceptionné avec satisfaction un équipement fassent quand même appel à la garantie à seule fin de financer un autre projet avec de l’argent indu. Ou encore, le donneur d’ordre ne trouve rien à redire aux travaux réalisés, mais il prévient l’entrepreneur : « Pour le même prix, réalisez-moi cette liste de travaux supplémentaires. Sinon, j’appelle la garantie. » Extrait d’un article paru dans le quotidien Les Echos du 3 février 2011, sous la signature de François Le Brun.
À noter que la plupart des assureurs-crédits proposent une couverture spécifique contre les risques
d’appels abusifs.
Le conseil de Jean-Claude
Pour se protéger, il faut donc suivre très rigoureusement le développement de l’offre et de l’exécution des contrats afin de relancer efficacement les mainlevées.
Ne pas hésiter à commissionner les agents ou intéresser les commerciaux à la récupération de ces actes.
Plus efficace : essayer de substituer l’émission d’une lettre de crédit standby à celle de cautions et garanties, même si ce n’est pas encore dans les mœurs des entreprises françaises. En effet, la mainlevée est automatique dans le cas où la garantie a été émise sous la forme d’une lettre de crédit standby dès lors que la date de validité est atteinte (voir paragraphe 4).