Elle avait promis une application impartiale des règles européennes de la concurrence. L’enquête approfondie, ouverte lundi 19 septembre par la Commission européenne sur le traitement fiscal accordé par le Luxembourg à Engie (ex GDF Suez), révèle une nouvelle fois la détermination de Margrethe Vestager. « Cette action contre l’un des géants de l’énergie, dont l’un des principaux actionnaires n’est autre que l‘État français, ne peut qu’être saluée. Les distorsions aux règles de concurrence dans ce secteur pénalisent non seulement les Européens en tant que consommateurs et contribuables mais également les nouvelles entreprises désireuses d’entrer sur le marché », s’est félicitée Eva Joly, eurodéputée française, membre du groupe des Verts et de la Commission d’enquête créée au Parlement européen sur le scandale des Panama Papers.
Dans le collimateur des services de la concurrence à Bruxelles ? Des rescrits fiscaux émis depuis septembre 2008 par le Luxembourg sur deux transactions financières entre des sociétés de ce qui était à l’époque GDF Suez. « Après Amazon, McDonald’s ou Apple, la Commission européenne poursuit ses investigations sur les avantages accordés par des États membres de l’UE à des entreprises multinationales. Cette nouvelle enquête sur Engie démontre que toutes les multinationales – y compris en France – sont concernées », souligne un communiqué diffusé par Oxfam France. « Pas de favoritisme dans la lutte contre les aides d’État illégales », répète-t-on également au sein du cabinet de celle que l’on surnomme à Bruxelles la ‘Dame de fer’.
Une façon de faire passer la pilule Apple ?
Un message que Margrethe Vestager a, d’ailleurs, apporté elle-même, cette semaine, aux États-Unis, où l’amende record infligée à Apple par ses services, le 30 août dernier, reste l’objet de nombreuses critiques. L’affaire Engie, qui a coïncidé avec l’arrivée de la Commissaire aux États-Unis, lui permet d’apporter la preuve que les investigations de la Commission européenne en la matière ne concernent pas que les firmes américaines.
Hasard du calendrier ? « Nous prenons nos décisions lorsque nous disposons de tous les éléments pour le faire », s’est défendu son porte-parole Ricardo Cardoso. En coulisses, d’autres membres de l’exécutif saluent ce nouveau « coup de com » de la responsable danoise. « Elle démontre ainsi que toutes les entreprises, quelles que soient leur taille ou leur nationalité, doivent respecter les règles de la concurrence », commente-t-on dans l’entourage de la plus populaire des Commissaires à Bruxelles.
Une façon habile, donc, de faire passer la pilule Apple, en balayant les récriminations- largement diffusées outre-Atlantique – suggérant que les multinationales américaines restent la cible privilégiée de l’exécutif européen. Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Margrethe Vestager programme ses annonces en fonction d’un calendrier qui ne semble, a posteriori, rien laisser au hasard. En avril 2015, une semaine après avoir présenté les charges pesant contre Google, elle s’attaque au Russe Gazprom. Le même procédé est mis en œuvre en octobre 2015 lorsque les entreprises européennes et américaines, Fiat et Starbucks, sont toutes deux sommées de rembourser 30 millions d’euros d’aides d’Etat jugées illégales par l’exécutif à Bruxelles.
Résister aux pressions des multinationales et des gouvernements
En montrant que tout le monde est logé à la même enseigne, Margrethe Vestager se donne aussi les moyens de résister aux pressions des multinationales et des gouvernements, en particulier celui des États-Unis. « Vous ne trouverez aucune statistique permettant de démontrer que notre politique est anti-américaine », a expliqué la Commissaire le 19 septembre, dès son arrivée à Washington précisant que seules 2 % des 150 décisions rendues par la Commission depuis 2000, pour aides d’État illégales, concernent des entreprises américaines. « L’Europe est ouverte aux affaires, mais pas à l’évasion fiscale », a-t-elle ensuite insisté, en guise de réponse au courrier incendiaire diffusé par le Business Roundtable, largement mobilisé aux côtés d’Apple.
Dans une lettre adressée aux 28 États membres, ce très puissant lobby – regroupant près de 200 dirigeants d’entreprises américaines – dénonce le verdict des services européens de la concurrence et ses conséquences à long terme sur l’ensemble du bloc : « Le précédent créé par cette décision, si elle est maintenue, risque d’accroître significativement l’incertitude avec un impact négatif sur l’investissement étranger en Europe », avertit John Engler, le président de l’organisation.
Une menace qui n’a pas érodé l’aplomb de la ‘Dame de fer’ de la Commission. Dans ses nombreuses interviews accordées aux médias du monde entier, elle n’a cessé de rappeler les sacrifices consentis par les citoyens européens depuis le début de la crise des dettes souveraines. « Ils veulent que les entreprises paient aussi leur part de l’effort », confiait-elle récemment à l’hebdomadaire L’Obs. Et, lorsque Apple et l’administration fiscale américaine accusent l’UE de chercher à engranger des recettes fiscales qui reviennent au fisc américain, elle répond : « Il est entièrement légitime que les profits soient taxés là où ils ont été réalisés (…). Il n’est pas acceptable que les bénéfices ne soient finalement taxés ni aux États-Unis, ni en Europe ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles